CalogeroVariete Francaise » Variété française
samedi 05 décembre 2020 12:37
Calogero en interview pour l'album "Centre ville" : "J'avais besoin de me sentir utile"
Par
Yohann RUELLE
| Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Calogero est de retour avec "Centre ville", un huitième album lumineux façonné au rythme de la crise sanitaire. Joint par téléphone, le chanteur raconte, avec une rare franchise, sa conception inhabituelle, sa vision de la société, les dangers qui guettent le monde la culture, sa colère contre le discours du gouvernement et sa collaboration avec Benjamin Biolay.
Crédits photo : Polydor / Laurent Humbert
Propos recueillis par Yohann Ruelle. Vous voici de retour avec votre huitième album ''Centre ville'', dont la sortie a été malheureusement perturbée par la crise sanitaire et le confinement. Comment avez-vous vécu la décision de le reporter ? Un album c'est un cycle de trois-quatre ans. Une date de sortie, c'est important : c'est un vrai rendez-vous avec le public. J'ai donc préféré reculer d'un mois pour avoir un meilleur rendez-vous, ce qui n'est pas un laps de temps trop long. Là, c'est le bon moment ! Je suis ravi et très content de retrouver tout le monde. Je suis d'un caractère optimiste Comment êtes-vous parvenu à créer ce disque au rythme de la pandémie ?Le point de départ a été "On fait comme si", chanson que j'ai réalisée durant le premier confinement. Dans cette ambiance anxiogène, les notes de mon piano, la mélodie, sont sorties très vite. Les fenêtres de mon appartement étaient ouvertes, les voisins m'entendaient jouer. Les jours ressemblaient vraiment à des dimanches qui se succédaient, avec ces applaudissements à 20 heures, cette inquiétude... J'avais besoin de me sentir utile. Je sentais comme tout le monde que le corps médical était en difficulté et à travers la musique, je voulais apporter ma contribution, même si c'est une goutte d'eau. Tous les droits ont été reversés à la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France. Ça a été ma façon d'aider et derrière, les autres chansons me sont venues les unes derrière les autres. L'inspiration était positive. J'avais envie de faire des chansons lumineuses, plus ouvertes, comme "Celui d'en bas" ou "C'était mieux après". C'est mon caractère : je suis quelqu'un d'optimiste. Je rêve, utopiquement, d'un super printemps où tout le monde se retrouve pour s'embrasser et retrouver une vie normale. L'être humain n'est pas fait pour une vie comme ça, barricadée, sans contact. Ce n'est pas nous. Les chansons ont été créées à distance ? Seulement "On fait comme si", sur laquelle j'ai travaillé avec Bruno Guglielmi. Sur le reste de l'album, on a joué ensemble avec mes musiciens, en petit comité. Bon cette fois, les copains ne sont pas venus nous voir pendant les séances de studio comme on le fait d'habitude ! On était tous masqués mais on a fait ce disque ensemble. Je me suis créé un atelier avec tous mes instruments Pour l'enregistrer, vous avez fait l'acquisition d'un studio près du Bois de Boulogne. Ce nouvel espace de création vous a-t-il apporté un nouveau souffle, une nouvelle façon de voir et faire votre métier ? Je l'appelle plutôt mon atelier. (Sourire) Ça me rappelle quand mon père était ouvrier en bâtiment. Il possédait un atelier où il construisait des corniches pour les plafonds des immeubles haussmanniens. Je le regardais faire et ça me fascinait. Aujourd'hui, c'est un peu pareil : j'ai mon atelier avec tous mes instruments, tous mes pré-amplis, tous mes amplis de guitare ! Ça me fascine et me passionne. Je m'inspire beaucoup d'un compositeur comme François de Roubaix, qui avait plein de machines autour de lui. Moi, j'y ai mis toutes mes machines. Ça change complètement le processus car au lieu d'aller louer un studio, où vous vous retrouvez à vous poser la question de savoir si vous avez le droit d'utiliser telle console ou tel instrument, vous êtes chez vous, avec vos affaires. La création est beaucoup plus grande et plus forte. C'était une sorte de fantasme ? Ça l'a toujours été. Quand je vivais dans une chambre de bonne, j'avais déjà mon petit espace. Aujourd'hui de toute façon, tout le monde a un home studio et peut faire de la musique avec son ordinateur ! C'est une chose magnifique. Mais moi j'ai toujours eu ce fantasme de gamin d'avoir une pièce où faire du bruit, changer d'instrument, jouer et expérimenter plein de choses différentes, comme un grenier où il y aurait plein d'objets magiques pour créer. Il paraît que vous avez nommé ce endroit Ennio, en hommage au compositeur Ennio Morricone disparu en juillet dernier. Que représentait-il pour vous ? Ennio Morricone c'est le maître absolu. C'était l'un des plus grands musiciens, un génie de la musique. Il a voué son génie au cinéma mais il aurait très bien pu le vouer au classique. Sa musique, c'est de l'émotion immédiate, accessible, qui touche le coeur du grand public. Je l'ai découvert quand j'étais enfant non pas pour ses westerns spaghettis mais ses films français comme "La banquière" ou "I comme Icare". Avec mon frère, on rejouait à nos oncles et nos tantes qui venaient nous rendre visite les chansons de Morricone, avec la main gauche sur un orgue et la main droite sur un synthétiseur que j'ai toujours aujourd'hui, et que j'ai notamment utilisé sur "Un jour au mauvais endroit" et "Toutes les machines ont un coeur" de Maëlle. Une chanson appartient à celui qui l'écoute Est-ce qu'après 30 ans de carrière, on a toujours le trac quand on sort un album ?J'ai toujours le trac de la scène. Là, je suis tellement heureux de sortir cet album que je n'ai pas d'angoisse particulière. Je suis juste content, je vis mon époque, il y a de nouvelles choses, des nouveaux artistes, ça me rend heureux de faire découvrir des chansons. Il y a beaucoup de joie dans cet album, d'inquiétude aussi, avec des réflexions sur le monde qu'on vit actuellement. Je me posais justement la question de savoir si ''La rumeur'' possédait une double lecture. Quand vous chantez « elle court de bouche en bouche, de porte en porte » et que l'on voit les figurants du clip être touchés par par le virus de la danse, j'y ai vu un lien avec la pandémie. Vous savez une chanson, elle appartient à celui qui l'écoute. (Sourire) Chacun se fait son interprétation. Ce n'est pas du tout le thème de la chanson mais je trouve ça hyper intéressant ce que vous me dites. Avec la situation actuelle, ça peut résonner de cette manière. Avec "La rumeur", je voulais parler de la vitesse à laquelle on peut faire la réputation de quelqu'un, comment un simple soupçon peut prendre de l'ampleur avec les réseaux sociaux. C'est une chanson qui la présomption d'innocence qui n'existe plus. A partir du moment où tu dis qu'un homme ou une femme a fait ça, ça part une trainée de poudre et il n'y a plus aucun doute. Je trouve ça très dangereux. Tout va trop vite aujourd'hui Elle résonne avec "Vidéo", qui parle des réseaux sociaux et de la société de l'image dans laquelle on vit ?On peut, oui ! C'est un petit clin d'oeil à mes quatre enfants, surtout les deux grandes. Je leur ai appris, et je n'ai plus besoin de me battre parce que ça marche très bien, à ne pas utiliser leur téléphone portable quand on est à table. Pour les mômes aujourd'hui, c'est une addiction. Même pour moi ! Je pourrais difficilement m'en passer pendant deux jours. On est tous dans le même schéma, c'est une vraie addiction. Cette technologie est extraordinaire et fabuleuse, mais en même temps, comme le dit le texte, on a un magnifique écran panoramique naturel. Il ne faut pas le gâcher. Le réel est encore plus beau. C'est ce qu'il y a de plus fort. D'ailleurs, je suis complètement raccord avec ce que je dis puisque je ne suis pas du tout sur les réseaux sociaux, à l'exception de mes comptes officiels d'artiste. Et je n'ai pas l'impression d'être un vieux con. (Sourire) Au contraire ! J'ai l'impression de faire partie de cette mouvance de la slow attitude [mode de vie qui promeut les bienfaits de la lenteur dans un monde en constante accélération, ndlr]. Je ne suis pas quelqu'un de lent dans la vie mais j'essaie de me dire qu'il faut prendre son temps. Plus on prend son temps, mieux on vit les choses. Tout va trop vite aujourd'hui, tout. Un jour où l'autre, la société reviendra à un rythme humain. Et c'est un peu ce que la Covid nous apprend : ça nous a ralenti d'une manière violente. Le coeur humain bat à un certain rythme, tôt ou tard le corps et la nature nous rappellent à l'ordre. Personne ne doit filtrer la liberté artistique L'album s'ouvre avec la chanson ''C'était mieux après''. Vous en aviez marre d'entendre que c'était mieux avant ?Ben oui ! C'est pas vrai que c'était mieux avant. Y a-t-il des choses qui étaient mieux ? Oui. Aujourd'hui ce qui est dangereux, c'est la perte de nos libertés. La France est un pays magnifique, extraordinaire à bien des égards, mais il y a quand même un formatage. Ne serait-ce que pour l'art, la culture. Un formatage presque totalitaire. Je ne parle pas pour moi mais par exemple, quand on demande à des mômes qui ont envie de créer de la musique de faire les choses comme ci, de cette manière-là, ou plutôt comme ça, de raccourcir les chansons pour ça corresponde à un certain format, un certain son etc. C'est hyper dangereux car ça enlève toute la liberté d'être un artiste qui pourrait emmener le public vers quelque chose de libre. Et pourtant le public est prêt, il a toujours été prêt. Ça vaut pour la musique mais aussi pour le cinéma, la pub. Il y a moins de risques, artistiquement. Parce que c'est une industrie... Oui. On est dans un monde d'argent. Partout, dans tous les domaines, on vous explique comment faire pour faire de l'argent. Que c'est comme ça que ça marche. Mais ce n'est pas vrai. Dans la musique c'est impossible, il n'existe aucune recette. Le public est l'unique décideur. Personne ne doit filtrer la liberté artistique. C'est de ça dont parle la chanson. C'était une énorme maladresse C'est un discours peu conventionnel de la part d'un artiste aussi reconnu que vous. C'est important que des voix populaires portent ces revendications ?Oui, je crois. Je vais vous dire, je ne suis pas du tout dans les théories complotistes. Je suis absolument pour le confinement, il est normal qu'on protège les plus vulnérables durant cette crise sanitaire qui nous tombe sur la tête. Ceci dit, j'ai été très choqué de l'appellation "produits non-essentiels" concernant les livres et les disques. Une énorme maladresse. C'est humiliant pour les gens qui créent dans le monde de la culture. Prenez un gars comme moi : la musique a été plus qu'essentielle puisqu'elle a changé ma vie. Et je ne suis pas le seul dans ce cas. Un tableau peut changer la vie de quelqu'un. Une photo peut donner envie à quelqu'un de faire de la photographie et de s'épanouir. Les gens épanouis sont des gens qui transmettent des bonnes ondes autour d'eux. Les images des rayons bâchés, c'était affreux. Un bon bouquin pour les personnes âgées qui sont seules et ne peuvent pas voir leur famille, on y a pensé ? Alors oui il y a le click and collect, mais l'appellation... J'ai peur que ce label "non-essentiel" reste. C'est ma crainte, d'autant plus à une époque où la jeune génération a cette soif d'apprendre. La culture fait notre avenir et a toujours fait l'éducation des peuples. Non essentielle... On ne peut pas dire ça au pays de Victor Hugo. On est de la même génération avec Biolay Un mot sur votre collaboration avec Benjamin Biolay. Pourquoi ce n'était jamais arrivé avant ?C'était déjà arrivé ! Mais pas de la même manière. Il jouait de la trompette sur le projet Circus que j'avais monté en 2012. En revanche, on n'avait jamais écrit de chanson ensemble. Ça a été une collaboration explosive qui s'est faite hyper naturellement, on a créé 5 ou 6 titres ensemble. On en a gardé deux sur l'album parce que les autres sont encore en cours de finition. On a pris notre pied à travailler ensemble, vraiment. Je pense que notre association a encore des choses à raconter. On est de la même génération. On est très provinciaux tous les deux. (Rires) C'est vrai ! Pourquoi j'ai choisi le nom "Centre ville", à votre avis ? Pour moi ça me renvoie au centre-ville de Grenoble, la place Grenette ! Quand j'étais môme à Echirolles, on allait tout le temps au centre-ville à pied. Il y a quelque chose de rassurant dans ce mot. Benjamin a connu ça comme moi, le bar du coin où on allait retrouver les copains et les copines pour jouer au baby-foot, en écoutant de la musique... C'est la vie, le centre-ville. J'ai trouvé cette collaboration très chouette. Et j'ai aussi retrouvé mon parolier rêvé, Paul Ecole, avec qui j'ai fait "Le portrait" et "Les feux d'artifice". On a une connexion qui est de plus en plus forte, je crois. Faire des chansons comme "Le temps", "C'était mieux après" ou "Celui d'en bas", ça confirme le duo qu'on forme, comme il y a pu avoir Julien Clerc et Roda Gil ou d'autres. Je crois qu'on grandit tous les deux, ensemble. C'est un beau compliment que vous lui faites... J'espère que je suis son compositeur rêvé ! (Rires)
Pour en savoir plus, visitez calogero.fr et la page Facebook de Calogero.
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