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samedi 26 novembre 2022 11:26

Natasha St-Pier en interview : "Chanter dans des églises ce n'est pas le show business"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Natasha St Pier est de retour avec son nouvel album "Jeanne", inspiré de la vie de Jeanne d'Arc et des écrits de Thérèse de Lisieurs. En interview pour Purecharts, l'artiste se confie sur ces figures féministes, l'étiquette de chanteuse spirituelle ou encore sa tournée des églises.
Crédits photo : DR
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Comment est né l'album "Jeanne" ?
Un peu par hasard. Je pensais refermer tout le chapitre spirituel parce que j'avais chanté tous les textes de Thérèse de Lisieux. J'avais un petit pincement au coeur de quitter ça car j'y avais trouvé beaucoup. Et je suis tombée sur les pièces de théâtre écrites par Thérèse de Lisieux sur la vie de Jeanne d'Arc. Je me suis demandée s'il n'y avait pas quelque chose à faire. Thérèse nous présente une Jeanne d'Arc beaucoup moins factuelle que dans les cours d'histoire. C'est beaucoup plus humain. Mais comment le faire ? Ça a été beaucoup d'erreurs, ça a pris un an de recherche pour bien diviser les pièces pour que chaque chanson raconte une histoire, mais il fallait que dans l'ensemble on retrouve l'histoire globale. Je voulais garder une trace de Thérèse donc dans chaque chanson il y a des paroles qui sont des bouts des pièces pour avoir ses mots. Un peu comme un clin d'oeil à mon histoire avec elle.

On a des doutes, des failles, et ce n'est pas grave
Vous avez vraiment connecté avec Thérèse, et j'ai l'impression que ça vous a apporté beaucoup de choses dans votre vie...
Oui je pense que ça m'a beaucoup apporté. C'est une fille extrêmement modeste. Quand elle écrit son livre "Histoire d'une âme", c'est son journal intime. Ce n'est pas prévu que ce soit lu. Quand elle décède, les carmélites se demandent ce qu'ils vont bien pouvoir écrire à son sujet alors ils publient finalement son journal. On y découvre l'intime de cette femme-là, et on la découvre humaine, comme nous. Avec des certitudes, des doutes aussi, une foi bien sûr mais qui n'est pas inébranlable. Elle a connu des moments où elle se demande si on croit en quelque chose ou si c'est pas n'importe quoi tout ça. Voir que ces gens-là, aujourd'hui érigés au rang de Saints, ont douté et eu des moments de faiblesse, ça les humanise et ça nous conforte dans l'idée que nous ne sommes pas parfaits. On a aussi des doutes, des failles, des moments où on tombe mais ce n'est pas grave.

Vous connaissiez bien Jeanne d'Arc avant de vous lancer dans ce projet ?
Je connaissais bien Jeanne d'Arc, mais j'ai appris beaucoup de choses. Je savais qu'elle avait été jugée très vite mais je n'avais jamais lu chaque minute du procès. Là, je l'ai fait. Et c'est impressionnant ! J'ai appris, entre autres, qu'on a piégé Jeanne d'Arc en lui faisant promettre de ne plus porter de vêtements d'hommes. Sauf qu'ils vont la jeter au cachot, les gardes vont la déshabiller et ne lui jeter que des vêtements d'hommes. Elle va donc devoir les mettre pour se couvrir, et ainsi ils l'accusent de parjure. C'est comme ça qu'ils vont réussir à la coincer.

Thérèse et Jeanne ce sont des figures assez féministes
C'est donc vous qui êtes à l'origine de l'album "Jeanne" ?
Oui j'ai eu envie de porter ce projet-là et, je le réalise avec le recul, ce sont des projets de figures assez féministes finalement, entre Thérèse et Jeanne d'Arc. Elles vont prendre, à leur époque respective, une place qui n'est pas une place de femme. Thérèse de Lisieux on va lui présenter le Pape parce qu'elle veut lui demander de pouvoir entrer au Carmel plus jeune. On lui dit de le saluer, d'embrasser sa bague et de partir, de ne rien dire. Elle va quand même parler, le supplier, pleurer devant lui, elle va insister. Moi, j'ai 41 ans et on est en 2022, mais si on me dit que je rencontre le Pape et que je ne dois pas parler, je le fais ! (Rires) Jeanne d'Arc va faire la même chose en chevauchant un cheval, mettre des habits d'homme, porter une armure, demander une armée à un Roi et partir à la guerre. Elles ne vont pas s'arrêter à leur statut de femme. Elles ne vont écouter que leur coeur.

C'est leur côté provocateur, audacieux, qui vous intéresse aussi ?
Oui, je dirais que c'est plus le côté audacieux, parce que je ne pense pas qu'elles le font pour provoquer. Elles le font vraiment parce qu'elles sont convaincues de leurs croyances. Il y a plein de femmes qui sont convaincues des choses auxquelles elles croient. Et on parle souvent de résilience mais on l'associe souvent à l'inaction, et ce n'est pas le cas. Thérèse et Jeanne sont des femmes résilientes mais elles vont se battre jusqu'au bout pour leurs convictions.

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Faire ce projet, c'était aussi pour se réapproprier ce personnage culte de l'histoire de France, souvent repris par l'extrême droite ?
Personnellement, je n'ai pas envie de me l'approprier. J'ai juste envie de la faire exister en dehors d'un contexte politique. Si on le ramène à l'histoire d'aujourd'hui, là on a la Russie qui tente d'envahir l'Ukraine. A l'époque, on a l'Angleterre qui tente d'envahir la France. Elle, ce qu'elle défend c'est son pays. Comme les Ukrainiens se défendent aujourd'hui. Et ça n'a rien à voir avec l'immigration ou avec tous les sujets politiques autres que juste un peuple qui a envie d'exister.

On m'a toujours enfermée dans des cases
Vous disiez tout à l'heure que vous aviez eu envie de fermer le chapitre spirituel avant de faire "Jeanne". Pourquoi ?
Parce que je n'avais plus d'idées. Je me disais : "Maintenant, il faut que tu passes à autre chose". Je n'avais pas d'idée assez forte pour me donner envie d'écrire, de composer, d'appeler des gens pour leur proposer quelque chose. Je pensais repartir sur un projet lambda où tu fais des chansons et tu trouves le fil rouge après. Mais les choses se sont passées autrement ! (Sourire)

Quand vous avez annoncé "Jeanne", j'ai lu sur les réseaux sociaux des commentaires regrettant un nouveau projet centré autour de la religion. Vous n'avez pas eu peur qu'on vous enferme dans une case ?
Certains le font oui... Est-ce l'histoire des femmes d'être enfermées dans des cases ? Peut-être. Au début, j'ai été enfermée dans la case de la Canadienne à voix, après dans celle qui chante des chansons d'amour. Là, je suis dans celle de l'artiste qui chante des chansons spirituelles. L'avantage, à notre époque, c'est qu'on peut choisir sa cage. Peut-être que plus tard, on me mettra dans une autre case, mais c'est moi qui la choisirai, comme à chaque fois. (Rires) Dans ce métier, il faut bien faire attention à une chose : faire les choses pour les bonnes raisons. Si je fais un projet qui est loin de mes valeurs, forcément, ça va se sentir et on n'atteint pas les gens. Là, je suis consciente qu'il y a plein de gens qui n'ont pas de spiritualité et pour qui ça ne veut rien dire tout ça. Je les respecte. Mais pour le moment, je m'adresse à ceux qui sont touchés par ces chansons-là. Et peut-être qu'un autre de mes projets futurs leur parlera. Ou pas.

Oui et il y a des chansons sur l'album comme "Elles ont en elles" qui sont finalement assez universelles...
Il y a plein de chansons sur cet album qui ont une portée spirituelle mais pas religieuse. En France, on a cette laïcité qui est géniale mais qui fait qu'on a oublié la spiritualité. On la met sur le banc des religions mais la spiritualité c'est simplement croire à ce qui n'est pas physique et organique. Par exemple, être amoureux, c'est une forme de spiritualité, c'est quelque chose d'impalpable, d'inexplicable...

Vous avez été très inspirée par Jeanne d'Arc puisque vous écrivez et composez la majorité de l'album. C'est venu comment ?
Je n'avais jamais vraiment composé car je joue très mal du piano. Les gens qui me suivent sur Instagram le savent ! (Rires) Mais j'ai de bonnes idées de mélodies. Il faut harmoniser tout ça mais moi je n'y arrive pas. Maintenant que mon conjoint est un pianiste, je chante ma mélodie comme ça, lui il plaque les accords. Il a l'oreille absolue et un vrai sens de l'harmonisation.

Regardez le clip "Me croirez-vous ?" :



Et l'écriture ?
C'est récent. Ça fait deux-trois albums que j'écris. Mais je suis plus à l'aise en anglais pour écrire. Et comme j'ai eu la chance de travailler avec de grands auteurs dans ma carrière, c'était très intimidant. Si je le faisais, je me disais que Lionel Florence pouvait le faire vingt fois mieux ! Mais, au final, j'ai peut-être une petite phrase de temps en temps qui est bien et qui a le mérite d'exister. Et j'avais envie d'utiliser mes mots.

En écoutant l'album, je me suis dit que ça ferait une bonne comédie musicale. Vous y avez pensé ?
Ce n'est pas l'idée que j'avais en tête, mais comme ça part d'une pièce de théâtre, forcément on a ce côté théâtral. Sur l'album, il n'y a presque qu'un seul personnage qui intervient, c'est Jeanne. Sur scène, on est ni dans une comédie musicale, ni dans une pièce de théâtre, mais il y a un mélange de tout ça. Dans certaines chansons, dans ma manière d'interpréter, je vais incarner le personnage comme je le ferais dans une comédie musicale, mais ce n'est pas le cas dans toutes les chansons. Et une comédie musicale avec un seul personnage, c'est chaud. (Rires) Il faudrait qu'il y ait un vrai travail de fait pour le transformer en comédie musicale. Par contre, la pièce de théâtre existe et il y a moyen d'en faire quelque chose. Le théâtre m'attire donc je ne dis pas que jamais je ne jouerai Jeanne d'Arc autrement que comme je le fais aujourd'hui. Mais le spectacle que je propose actuellement est une espèce de théâtre musical.

Dans les églises, je vois les gens et ça c'est très différent
Vous donnez des concerts dans des églises, et vous serez notamment le 6 décembre à l'église Notre Dame de la Croix à Paris. Pourquoi ce choix ?
Dans l'idée d'un théâtre musical, les églises vont nous proposer un décor formidable, et nous on va le mettre en lumière. Et dans une église, les gens n'ont pas les même a priori. Ils vont avoir une différente ouverture. Je ne peux pas dire que c'est plus solennel... J'aimerais pouvoir trouver le mot juste pour dire ce qui est différent, car il y a vraiment un truc différent. Je crois qu'il y a de l'âme, comme certains vieux théâtres. Les églises ont toutes une âme.

C'est plus facile de se connecter à ce genre de chansons aussi...
C'est plus facile d'avoir la modestie qui va avec ces chansons. Que ce soit Thérèse dans ses écrits ou l'histoire de Jeanne d'Arc, il y a un besoin de mise à l'écart de l'ego de chanteur pour ce truc existe correctement.



Chanter dans des églises, c'est aussi aller dans des villes plus petites et aller à la rencontre de personnes qui ne peuvent pas venir aux concerts.
Oui et ça, c'est très intéressant. Et comme je ne suis pas sur une scène haute avec un éclairage en plein dans les yeux, je vois les gens et ça c'est très différent. D'habitude, on voit les trois premiers rangs, là je vois tout le monde, même les derniers. Je vois quand les gens sont émus, quand ils sont contents ou s'il y a des moments qu'ils trouvent longs, je peux le sentir et prendre les bonnes décisions. (Rires) C'est vraiment un échange, et un lien qui est réel.

Chanter dans des églises c'est plus gratifiant
Des artistes comme Laurent Voulzy ou Vincent Niclo chantent aussi dans des églises. Comment vous expliquez cet engouement pour ces nouveaux concerts ?
Moi je le fais depuis "Thérèse, vivre d'amour" en 2013. C'est un mode de vie différent, on n'a pas de loge, on est dans une sacristie. On n'a pas de confort, il fait froid l'hiver. Chanter dans des églises, ce n'est pas le show business ! Mais je pense que c'est plus gratifiant. Et c'est plus réel. C'est pas un rideau noir derrière nous et on est un personnage, et la vraie vie qui revient. On reste dans la vraie vie et ça c'est assez intéressant aussi.

Vous avez encore envie de faire un album de chansons originales, comme à l'époque ?
Techniquement, dans cet album-là, à part "Jeanne" qui est une reprise de Laurent Voulzy, ce sont des chansons originales et c'est de la variété. Mais les gens m'attendent dans un style de paroles plus modernes, et encore ce n'est pas le meilleur mot... Dans un truc plus classique. Peut-être, mais là je n'ai aucune idée de ce que sera le prochain album.

Vous pourriez retravailler avec Pascal Obispo ?
Peut-être !
Plus d'infos sur Natasha St-Pier sur son site officiel ou sa page Facebook.
Ecoutez ou téléchargez les titres et albums de Natasha St-Pier sur Pure Charts.

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