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samedi 17 octobre 2020 12:34

Amir en interview pour l'album "Ressources" : "J'ai enlevé certains blocages en moi"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Amir revient en pleine lumière avec "Ressources", un troisième album à la dimension plus intime. Sa paternité, ses remises en question d'artiste, la crise sanitaire, son duo avec Indila... Plongée dans les coulisses du disque avec un chanteur n'ayant plus peur de se livrer tout entier.
Crédits photo : Fifou
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Ton retour avec ce nouvel album ''Ressources'' précède une longue pause médiatique d'un an. Tu as expliqué avoir été ''pris au piège'' du succès. Que s'est-il passé ?
Je ne me suis jamais senti réellement oppressé, tout était dans l'anticipation. Tous les jours, je me demande si je prends les bonnes décisions, quant à ma vie, ma carrière, ma famille et parfois je me demande si je suis sur le bon chemin. Quand j'ai l'impression d'avoir choisi un chemin à risque, je dévie, je change. Jusqu'à présent, ça m'a beaucoup protégé dans ma carrière. Là, on parle d'une pause médiatique mais ça fait partie de plein de décisions que je prends de façon assez régulière pour rester proche de qui j'ai toujours été, pour ne pas changer, ne pas laisser le succès altérer certains principes importants. Et l'un de ses principes c'est la famille. Mes proches ont été tellement protecteurs quant à mon succès. Même s'ils me voyaient m'envoler, m'éloigner un peu et ne plus être très présent, par bienveillance ils se disaient ''C'est magnifique'' et ne m'ont jamais raisonné là-dessus.

Devenir père a changé ma façon d'être
Comment cela s'est-il traduit ?
C'est moi qui, à un moment, ai pris conscience de ce que ça pouvait devenir si ça continuait. Un jour je leur ai dit, à eux et à mon entourage professionnel : ''Je vais m'arrêter''. Certains ont été déçus mais de toute façon, on n'aurait pas pu proposer un nouvel album avec de la nouveauté. Je n'aurais pas pu revenir avec une fraîcheur d'esprit, un nouveau propos... C'est possible de lasser les fans. Ce n'est pas parce qu'ils sont là aujourd'hui qu'ils nous aimeront toujours, je ne prends rien pour acquis. Moi aussi j'avais besoin de rafraîchir mon envie de me faire voir, de changer, de donner.

Pendant cette pause loin des projecteurs, à quoi ressemblaient tes journées ?
Le travail a quand même pris une certaine place parce qu'on préparait cet album mais dans un tout autre rythme. Ma vie ressemblait à celle d'un gars qui part au travail le matin et qui revient le soir. Quelque part, c'était plus équilibré, on avait des horaires plus réguliers, loin des nuits blanches que je faisais avant lorsque j'étais en concert dans une ville la veille et en promo dans une autre le lendemain matin. On a eu la possibilité de travailler de façon beaucoup plus posée, ce qui nous a permis d'aller plus souvent en studio et de revoir énormément de choses, de filtrer chaque projet de chanson. Jusqu'au dernier moment, on s'est remis en question, on a repensé à la cohérence globale de l'album, tenté de nouvelles expériences. Il faut du temps pour ça. Il faut laisser mûrir les choses. On était super content de cette dynamique et alors qu'on s'apprêtait à lancer l'album en fabrication, le confinement est arrivé et on s'est retrouvé avec deux mois supplémentaires de tranquillité et de réflexion ! Ça nous a permis de penser à des ultimes modifications qu'on a fait à la sortie du confinement pour que l'album puisse maintenant être livré dans une satisfaction pleine et complète. (Sourire)

J'étais extrêmement pudique
Devenir père a-t-il changé ta façon de créer de la musique ?
Je pense que ça a changé ma façon d'être un être humain. A partir de là si tu extrapoles, tout ce à quoi je touche, tout ce qui m'intéresse, qui m'occupe, toute mon interface avec le monde est différente. On m'a toujours dit que je ne pouvais pas me projeter tant que ça ne m'était pas arrivé. Quand tu deviens papa, ton ordre de priorité change et la projection de l'amour familial passe d'une génération à une autre. Avant de devenir père, tu es toujours le fils de. Et quand tu deviens papa, tu deviens le père de. (Sourire) Ta vision du monde change à 360 degrés. Ce n'est pas juste changer les couches et emmener ton enfant à la crèche ! Ça va beaucoup plus loin que ça. Tu penses à son avenir, tu penses à sa protection, tu penses à subvenir à ses besoins, tu n'es plus du tout le centre de ton attention. Même ton couple devient secondaire : tu dois d'abord t'occuper de ce petit bout de chou qui ne peut rien faire tout seul. Et ça donne une bataille commune qui permet de mûrir dans sa tête et donne un vrai sens. Tu comprends pourquoi le monde est depuis des millions d'années dans cette transmission. Les gens font des enfants parce que ça donne de l'âme à la vie.

Regardez le clip "On verra bien" d'Amir :



Cet album est plus intime que le précédent avec davantage de ballades, des histoires personnelles comme ''Ma lumière'' sur ton fils. On hésite à se livrer de la sorte ?
Si je regarde mes trois albums, je constate que plus le temps passe, plus les chansons sortent, plus la relation avec le public s'intensifie et plus je me sens à l'aise pour me livrer. J'étais extrêmement pudique sur le premier album. Ce n'était presque que des fictions dans mes histoires et quand c'était personnel, je survolais avec distance le sujet. Plus on a avancé, plus j'ai trouvé cette capacité à me livrer qui m'a fait beaucoup de bien. Il a fallu que je me conforte dans cette nouvelle position de personnage public, dont les messages sont suivis, qui peut parfois influencer les gens. C'est à la fois une grande chance et une responsabilité. Évidemment qu'il y a toujours des barrières quant à ma vie privée et qu'il y en aura toujours, car c'est très important de connaître la limite de cette démarche, mais je partage ce qui est important. Parfois c'est un exutoire pour moi, je dis des choses que je n'arrive pas à dire à mes proches en chansons parce que j'ai des difficultés à exprimer des pensées verbalement.

On a traversé quelque chose qui nous a renforcés
Revenir aux sources, c'était aussi se connecter à tes racines israéliennes en invitant Idan Raichel Project par exemple ?
Ça s'inscrit dans cette démarche autant personnelle que musicale. Sur cet album, je dévoile plus mes inspirations et mes influences. Je vais bien plus loin que le mec qui est venu faire des musiques qui plaisent et qui est attendu. Il a fallu du temps pour que je sois capable d'amener sur des chansons mes racines israéliennes, celles nord-africaines de mes parents. Il y a tellement de couleurs musicales qui ont bercé mon enfance, ma vie, les fêtes familiales... Au tout début, j'avais l'impression que si je mettais ça dans ma musique c'est comme si je venais en pyjama au bureau. (Rires) Je pensais qu'il y avait des trucs qui devaient rester dans le cadre familial et qui n'intéressaient pas les autres. Et finalement, je me suis dit : si je veux montrer ma vérité, si je veux montrer qui je suis, je vais tout donner. C'est ce que j'ai fait dans cet album. Je pense que le public, avec qui j'ai noué au fil des années une relation plus solide, réclame de me connaître davantage. Et moi ça me fait du bien. J'ai eu tellement de temps chez moi pour réfléchir à cet album, pour me demander si j'étais capable de le faire. Quand tu te poses des questions, plus le temps avance, plus tu te vois capable de le faire. Je me suis lancé ces défis-là pour enlever certains blocages que j'ai en moi, qui n'ont pas vraiment de sens mais qui viennent d'une pudeur. J'ai envie de surprendre.

Tu es revenu au début de l'été avec ''La fête'', un hymne à la fraternité et au vivre ensemble. C'est l'actualité qui a dicté ce choix de premier single ?
Au début, je ne savais même pas si elle allait entrer dans l'album ! Je l'ai écrite bien avant, quand tout allait bien. Tu imagines ? Si j'avais su qu'une telle catastrophe arrivait, je n'aurais même pas été capable de l'écrire. Après le confinement, je n'étais logiquement plus dans le même état d'esprit que 6 mois plus tôt. Quand tu chantes "On est tous nés pour faire la fête'', est-ce que ça a encore sa place après ce drame planétaire, humain et matériel ? C'était le gros dilemme. On sait qu'on tient une chanson qui nous plaît et qu'on a envie de défendre, mais est-ce le bon moment ? Dans mon cercle proche, les réponses étaient radicales dans un sens comme dans l'autre. "C'est malvenu'', ‘'On en a besoin", "Ça va nous faire du bien''... Ça a été à moi de décider si j'opte pour la prudence ou pour ce parti pris un peu radical, et puis finalement ça s'est avéré être le meilleur choix. Il a fallu que quelqu'un fasse ce pas de se dire "Viens on se lâche''. On s'est senti étouffé, la période a été très dure mais on a traversé quelque chose qui nous a renforcés, c'est peut-être le moment de montrer qu'on est plus fort que ça. Il fallait continuer à célébrer la vie. Et puis c'était presque un acte thérapeutique pour moi. Après des mois de break et deux mois de confinement, quel type de musique j'ai envie de revendiquer et de représenter ? "La fête" m'a aidé à faire le vide pour m'apporter ce smile dont j'avais besoin pour m'amuser sur scène, car il faut du courage et de la force pour entraîner un public après ce qu'il nous est arrivé.

Regardez le clip "La fête" d'Amir :



Dans le titre d'ouverture, tu chantes : "Soi disant je suis tout lisse, soi disant j'suis pas gentil quand je suis derrière les coulisses". Ça blesse ce genre de remarques ?
Je te rassure, ce sont des remarques qui n'existent pas ou, en tout cas, que je n'ai jamais entendues personnellement. C'est une chanson complètement satirique sur l'idée de la rumeur et de ces faux buzz qui partent très vite. Pendant le confinement, on a tous été témoins de cette dynamique stupide avec des informations non vérifiées qui proviennent de groupes WhatsApp et se propagent sur les réseaux sociaux. Comme si chacun prédisait ce qui allait arriver le lendemain alors qu'il y a des sources fiables sur lesquelles se baser. Quand les choses ne sont pas maîtrisées, les conséquences peuvent être très graves. Parfois ce sont des bêtises sur "machin en couple avec...'', parfois ça peut aller jusqu'au harcèlement scolaire. La chanson critique cet état sociétal en se fichant au passage un peu de ma propre pomme. Car il n'y a pas d'entre-deux mais une polarité qui se voit jusque dans les réactions mises à notre disposition sur Facebook par exemple, entre le bonhomme très très énervé et le coeur. Les réseaux sociaux peuvent être un outil formidable mais il faut savoir faire attention.

Chez moi, la sincérité prime par dessus tout
Quand on est artiste, on ne s'appartient plus totalement ?
Ça fait partie du jeu. On commence à vivre… une double vie, en fait, dans un sens qui n'est pas forcément négatif. Personne ne peut exactement être la même personne dans sa vie intime et sur scène. Il y a une projection nourrie par le public. Le public permet d'être, il fait partie intégrante de la création de l'univers d'un artiste et de ce qu'il représente publiquement. A côté de ça, il est formé par sa relation avec ses amis et sa famille. Plus le temps passe, plus ces deux personnalités deviennent distinctes parce qu'on évolue et qu'on crée une histoire sur le long terme évoluant sur deux fonds complètement différents. C'est une gymnastique mentale et humaine pour ne pas trop délier ces deux mondes. Et je peux te donner un exemple personnel très concret qui s'est passé hier : j'étais à l'enterrement d'un proche et une heure après, je me retrouve sur scène face à un public sur un plateau radio à chanter avec mes musiciens. (Il réfléchit) Si je n'arrivais pas à faire la part des choses, j'aurais été dévasté et j'aurais certainement annulé cette promo. Il faut beaucoup de force, je pense. C'est une nécessité de pouvoir séparer ces deux mondes, pour pouvoir être pleinement le Amir de la famille quand je suis avec ma famille, et le Amir du public quand je suis avec le public. Ça ne veut pas dire que je me masque quand je suis avec le public : chez moi, la sincérité prime par dessus tout. Il y a simplement des choses qui sont divisées.

Revenons à l'album. Tu partages le titre "Carrousel" en duo avec Indila. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
C'est la chanson qui a créé cette rencontre. On s'était croisés dans le passé sans pour autant nouer contact. J'ai toujours été sensible à son univers. Lorsque nous avons composé cette chanson, écrite en solo au début, j'ai tout de suite pensé à Indila. Alors on s'est dit : "Viens on lui propose. On n'a rien à perdre". Ce qu'on a découvert, une fois qu'elle a entendu la chanson, c'est qu'elle aimait beaucoup ce que je faisais depuis toujours. C'est fascinant de découvrir des admirations parallèles qui sont très naturelles et très vraies. Ça a été plaisant et volontaire de faire ce chemin ensemble. Une fois que c'est devenu un duo, Indila a évidemment réécrit et recomposé ses parties pour en faire une rencontre artistique réelle dans laquelle on est tous les deux dans un univers qui nous ressemble. On a réussi à trouver cette touche musicale commune à nous deux. Parvenir à avoir une chanson 100 % Amir et 100 % Indila, ça a été à notre défi.

Je suis amoureux de mon duo avec Indila
Qu'a-t-elle amené dans ton univers à toi ?
Déjà, on est tous les deux des artistes qui aimons l'univers mélodique classique mais aussi des productions extrêmement modernes. A côté de ça, on a cette couleur vocale méditerranéenne et orientale qui nous rapproche. C'est très technique de décrire ça comme ça, mais le côté chaleureux un peu profond de ma voix à côté du sien qui est très céleste et aérien, ça donne un mélange opposé mais complémentaire dans la chanson. Je suis amoureux de ce titre, que j'affectionne autant pour son histoire que pour sa musicalité. C'est une des chansons dont je suis le plus fier dans l'album.

Crédits photo : Fifou
C'est à mon tour de transmettre
Collaborer avec Cephaz, c'est une façon pour toi, figure populaire bien installée dans le paysage musical, de tendre la main à une nouvelle génération ?
Absolument. Moi j'attendais cet instant où je pourrais profiter de ma notoriété pour partager de la force avec de jeunes artistes. J'en rêvais quand j'étais à leur place il n'y a pas si longtemps que ça. C'est un cycle tout à fait vertueux de transmettre et de permettre d'ouvrir des portes. Patrick Bruel l'a fait pour moi, le collectif Forever Gentlemen m'a permis de chanter avec des artistes beaucoup plus connus que moi à la sortie de ‘'The Voice''. Je me dis que maintenant c'est à mon tour. Si j'ai eu cette chance de gravir les échelons et d'en arriver là, ce n'est pas pour devenir égoïste et garder tout pour moi, au contraire. Cephaz c'est un coup de coeur artistique, 7 Jaws et Bambino ce sont des coups de coeur artistiques. Je leur ai demandé de venir mettre leur voix et leur identité sur des morceaux et ils ont tout de suite accepté. Et c'est génial parce que ce n'est pas que moi qui les aide. Eux aussi apportent une fraîcheur à l'album parce que ce sont des artistes qui en veulent, qui ont la rage, qui sont heureux de se voir proposer une belle plateforme et qui donnent tout pour que la chanson soit réussie. On sent leur dalle ! C'est un grand plaisir partagé.

Quel est ton sentiment vis-à-vis de la crise sanitaire et de la situation délicate des artistes par rapport aux concerts ?
A titre personnel, j'ai de quoi m'occuper et ma tournée est prévue pour dans un moment. En revanche, je contacte tous les jours mes équipes, mes musiciens, mes techniciens. Mine de rien, c'est une famille avec laquelle j'ai fait des centaines de dates, des gens avec qui je me réveillais, je dormais, je mangeais et je ne peux pas me détacher de leur état actuel, qui est tout simplement dramatique. Ce sont des personnes qui n'ont pas d'autre choix que de faire de la musique, de travailler pour les spectacles et ils ne peuvent pas le faire. Alors certes, on est reconnaissant pour ce magnifique régime des intermittents du spectacle. Mais ce n'est pas assez, d'un point de vue financier, et c'est impossible pour quelqu'un de rester chez soi à ne plus sentir qu'il s'épanouit. Pour eux, le confinement perdure. Je trouve ça anormal. Si une solution existe, il faut la mettre tout en haut de la pile des priorités parce que ça fait trop longtemps. Si ça continue, le secteur de la culture sera tué et aura du mal à ressusciter. Il ne faut vraiment pas tuer l'espoir de revenir pour ces gens qui ont la rage de travailler. Si j'ai des occasions de faire des événements avec des musiciens, évidemment que je les invite mais ça n'a rien à voir avec l'intensité et la régularité d'une tournée. Malheureusement ce n'est pas entre nos mains. J'en rêve mais c'est plus à eux que je pense qu'à moi.

Tu as peur pour ta tournée, qui débutera en février ?
Moi, tu sais, je suis un optimiste né. (Sourire) Je ne sais pas si c'est inconscient ou parce que la parole est créatrice mais je pense que ma tournée aura lieu et que les salles seront pleines. On en a besoin ! Le spectacle est d'utilité publique.
Retrouvez Amir sur son site officiel et sa page Facebook.
Écoutez et/ou téléchargez l'album "Ressources" d'Amir sur Pure Charts !

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