lundi 03 septembre 2012 15:00
Lou Doillon : "Pour Etienne, cétait lenregistrement le plus heureux de sa vie"
Aujourd'hui, Lou Doillon change d'univers. Habituée aux milieux de la mode et du cinéma, elle se lance dans la musique en sortant son premier album, "Places", dans les bacs ce lundi 3 septembre. L'artiste de 29 ans a collaboré avec Etienne Daho sur un opus intégralement chanté en anglais. Spontanée et naturelle, la fille de Jane Birkin s'est confiée à Pure Charts et semble ravie de son expérience.
Crédits photo : Zazzo
Propos recueillis par Jean-Baptiste Pietra Pure Charts : Quest ce qui ta poussée à enregistrer un disque ? Est-ce que l'idée de trottait dans la tête depuis un moment ? Lou Doillon : Je fais de la musique pour moi depuis pas mal d'années. Je ne pensais pas que javais envie de la partager. Cest Christopher Brenner, un musicien américain, qui ma donné le goût de faire de la musique. Il y a sept ans, javais un groupe avec lui aux Etats-Unis, mais je ne voulais pas dépendre dautres gens. Il ma acheté une Yamaha à 200 euros chez Beuscher. Et c'est comme ca que mon rapport à la musique a personnellement commencé. Je vis avec ma guitare depuis sept ans. Puis, c'est Etienne Daho qui a voulu que je partage ma musique autre part que dans ma cuisine ou avec des potes dans mon salon. Si javais pu enregistrer "Places" dans ma cuisine, je l'aurais fait On entend parler de ton album depuis plus dun an, mais son nom na été évoqué qu'assez tard. Tu nous en as révélé quatre pistes grâce à un EP, sorti le 11 juin dernier. Tu fais exprès dentretenir un certain mystère ? Tout a été fait sans préméditation. Du coup, cest peut-être pour ça que cet album a quelque chose de particulier. Dans un monde où malheureusement les choses coutent chères et sont ambitieuses, on a envie den foutre plein la gueule dès le début. Moi jai fait une "anti démarche". Jai décidé de prendre un parti assez radical : de ne miser sur aucune image et quon écoute simplement la musique. On aime ou on naime pas, mais je voulais juste la musique, rien autour. Pour le clip de "I.C.U", on a fait le plus simple possible. On a tourné dans les rues de Paris, ça n'a pas coûté un rond. On est allé à lopposé de tout ce que les gens attendent. On sattend à me voir me changer vingt fois de robes, à ma fenêtre, etc. Je navais pas lambition que ce soit une grosse machine. Etant profondément la fille de mon père - un réalisateur de films indépendants extrêmement laborieux, consciencieux, très protestant et très dur - lidée de faire un album qui coûte des millions, enregistré à Los Angeles avec le meilleur clipeur... la question ne se posait pas : cest tout ce que je déteste en fait ! Si javais pu lenregistrer dans ma cuisine, on laurait enregistré dans ma cuisine. Et on sest posé la question au bout dun moment ! Je me suis dit on va juste être honnête, on va faire comme nimporte qui, on va tout boucler en dix jours, aux Studios de la Seine. Cinq jours déditing et huit jours chez Philippe Zdar : on a fait lun des albums les plus rapides de lannée ! Regardez le clip de "I.C.U" de Lou Doillon : Pour la dernière étape, je me suis dit on va envoyer la musique et laisser vivre, voir ce qui se passe. Si les gens se mettent à aimer la musique, là ça commence à me plaire, cest bon signe. Au delà du premier morceau, il y a eu l'EP quatre titres. Un "entre deux", pour que les gens puissent entendre dautres choses, dautres couleurs, avant d'avoir l'album complet. C'est important pour les radios aussi. Aujourdhui je pourrais mentir en disant que tout a été pensé comme ca depuis le début, mais non. Tout ça est venu très naturellement. Quelles ont été tes inspirations ? Et pourquoi chantes-tu exclusivement en anglais ? Très honnêtement, en huit ans de chanson toute la journée dans ma cuisine, il n'y a pas un morceau qui est sorti en français Pas même des reprises dartistes que tu aimais bien ? On samuse plus en anglais quen français. Non... Première raison : je nai jamais chanté "naturellement" en français. Deuxième raison : je pense quen français, jai des soucis de famille, dans le sens où je suis "fille de", "sur de", "enfant de", "cousine de"
Enfin, il y a une sorte de chape un peu lourdingue et je narrive pas à men échapper. Donc à cause de ça jai limpression dêtre déjà dans la cible, jessaye de me faire le plus petit possible, ce qui fait que ma voix monte dans les aigus. C'est pareil avec les enfants, dès quils veulent faire plaisir, la voix monte. En fait, je me dénature en français. Quand tu écris en anglais, plus cest simple, plus cest juste. En français cest plus compliqué. Car si tu écris simplement, cest juste simple, ca ne prend pas dampleur. Donc il faut savoir écrire intelligemment. Dun coup ya un dictionnaire des rimes qui apparaît sur ta table : tes entre Rimbaud et Verlaine à te dire "je pique quoi et à qui" Sans parler de mon beau-père qui était lun des plus doués dans ce domaine-là. Jai appris par une prof de chant quen français cest extrêmement compliqué de chanter car, pour des histoires de diphtongues, les mots se ferment. Alors que l'anglais est dans louverture. On samuse plus en anglais quen français. Au final, je me suis dit, on verra en live si je fais une reprise en français Si jarrive à me "leurrer". Que réponds-tu aux gens qui comparent ton style musical à celui de Charlotte Gainsbourg ? Charlotte, ma sur ? Oui... Quils prennent trop de crack ! (rires) Quest-ce qui vous différencie selon toi ? Ma sur est dans une démarche dinterprète, et cest une grande interprète. Déjà au cinéma, cest lune des actrices les plus douées de sa génération. Cest quelquun qui sait absolument sannuler et devenir la chose que lon veut quelle devienne. Cest une grande qualité quelle a plus que moi. Moi, je suis moins bonne comédienne quelle dans le sens où je suis une "character actor" comme diraient les américains. Je pense que je suis profondément quelque chose et tu viens me chercher pour cette chose-là. Alors que Charlotte, elle, est malléable. Jai un caractère presque trop fort. Charlotte, elle, est malléable. Jai un caractère presque trop fort. Je le vois même en mode. Pour les marques où les fringues ne sont pas faciles à porter et où les marques nont pas plus de caractère que ca, jai tellement de caractère que ça marche. Cest pour ça que jai fait plus de Morgan que de Channel
Alors que Charlotte peut par exemple porter du Balenciaga, qui en lui-même est tellement fort quelle peut sannuler et se mettre dedans. Moi, tu me mets dans du Balenciaga, je pense que je ressemblerais à une sorte de drag-queen. Il y a trop de caractère, trop de tout, dans tous les sens
Et je pense que dans la musique cest exactement la même chose. Moi cest très personnel, et exclusivement rempli de moi. Il y a un peu dEtienne dans lalbum. Quand "I.C.U" est sorti j'ai remarqué avec horreur que 100% de la chanson était à moi, tant sur le plan moral que technique. Dun coup, cest la première fois de ma vie que j'étais partout, sans point de vue d'une autre personne. Cest là que je me retrouve dans la musique : je pense que cest profondément à mon image. Alors que Charlotte, elle, est entrée dans les univers d'Etienne Daho, Air, Beck, et Connan Mockasin, quand elle a collaboré avec eux. De mon côté, c'est Etienne Daho qui est entré dans mon univers. Crédits photo : Zazzo Justement, Daho a réalisé et arrangé les chansons de "Places". Il a collaboré avec Jane Birkin par le passé. Te sens-tu plus proche d'un des deux ? Etienne ma découvert comme un homme découvre une femme : avec quelque chose de lordre du rapport amoureux. Je pense qu'il est tombé amoureux de mon univers, et il était étonné que personne ne soit au courant de cet univers. Ça la énormément amusé de se dire quon allait surprendre tout le monde. Cest une vraie démarche belle et amoureuse, et absolument pas ambitieuse. Si javais démarché seule, on ne maurait jamais envoyée vers Etienne Daho. On maurait envoyée vers un mec de Lo-Fi californien ou un Anglais, histoire de se dire "on va faire une touche pop anglaise". Linfluence de ma mère, cest uniquement celle d'une femme en tant que mère. Jai un rapport très particulier avec ses chansons. Un rapport organique. Jai passé mon enfance avec elle sur ses tournées, et moi je regardais toujours le public. Jai vu ma mère un peu comme une petite fille à lécole qui veut faire plaisir et être dans une démarche dinterprète. Ce côté-là ne ma pas du tout aidé dans la musique, cest comme Charlotte. C'est l'influence de la femme forte et drôle qui se ressent par contre dans ma musique. Je suis profondément sa fille en étant costaud comme elle. Jai accouché seule de mes morceaux chez moi dans la douleur, mais dès que je suis rentrée en studio j'étais ravie. J'avais déjà fait le pire humainement. Etienne était d'ailleurs étonné. Il ma dit que cétait lenregistrement le plus heureux de sa vie. Cest amusant : en écoutant ton album, jai trouvé des similitude entre ton titre "Defiant" et la chanson "Le premier jour du reste de ta vie" d'Étienne Daho. Les accords au piano notamment. Même si le rythme de "Defiant" est plus rapide. As-tu réécouté quelques titres de Daho avant de plancher sur tes compositions ? Cest drôle parce que moi jai découvert tous les albums dEtienne après lenregistrement ! Depuis trois mois, et mon travail avec Etienne, on est d'ailleurs devenus "méga fans" de lui, mon fils et moi ! J'ai écrit "Defiant" en Bretagne, chez ma mère, pendant une semaine. Moi qui ne maventure jamais dans les barrés dhabitude, car les barrés me font extrêmement mal aux doigts, je suis quand même partie sur deux barrés car on mavait demandé un morceau up-tempo, et cest comme ça que commence "Defiant". Après, est-ce que lui, en lentendant, a fait inconsciemment des arrangements ? Si cest le cas je pense que cest absolument inconscient de sa part. Moi, il ma beaucoup protégée de ça. Par exemple, une fois, javais une voix qui le faisait penser à une chanteuse quil connaissait bien. Et il a attendu la fin de lenregistrement de lalbum pour me dire que cétait Karen Dalton. Ton album a été mixé par Zdar, le musicien du duo Cassius. Il a travaillé avec divers groupes, notamment Phoenix, The Rapture ou encore Housse de Racket. Comment as-tu rencontré Zdar et est-ce que tu te verrais interpréter un duo avec une de ces formations ? Cest Etienne qui ma dit en décembre quil pensait à Philippe Zdar, et qu'il l'appellerait. Jai vu les gens de chez Barclay qui mont dit "ca narrivera jamais", qu'il bossait non-stop et seulement avec des stars. Il venait de dire non à Madonna. Largent ne pouvait pas l'acheter. Il voulait juste finir les albums et partir en vacances. Du coup, je me suis dit, ça cest mort... J'ai fait une croix dessus. Etienne, qui est assez malin, lui a quand même envoyé une première démo guitare-voix que javais enregistrée seule. Et jai reçu un texto une heure après de Philippe qui disait "cest de la bombe, je trouverais le temps quil faut". En une semaine, il a fait deux mix par jours pour mon album alors que Philippe prend plutôt quatre jours pour en faire un dhabitude par vraie bonté du cur. Javais la pression : je me disais : "je vais passer après Kindness et Catpower " et finalement quand je lai vu lui kiffer les chansons et pleurer sur "I.C.U" ça ma fait plaisir. Jaimerais beaucoup me joindre à cette bande avec qui il a déjà travaillé. Il y a plein de choses qui commencent dans ma tête ! "ICU", "Devil or Angel", "Questions and Answers" Plusieurs titres de "Places" donnent limpression que tu joues à cache-cache. C'est parce que tu te cherches encore ? Ça nest pas fait exprès. Je pense que je suis quelquun de rongé par le doute continuellement. Je suis quelquun de très très curieux. J'ai une curiosité maladive pour les gens. Jaime beaucoup regarder les gens et les écouter, comme ma mère. D'ailleurs, on se confie beaucoup à moi. Peut-être que jaurais pu être PSY ou religieuse dans une autre vie Plus tu regardes, plus tu es étonné par un certain nombre de choses dans la vie. Tu te rends compte que tu as presque 30 ans, tu n'en as plus 20. Tu te rends compte que tu as dit "je taime" à trois ou quatre personnes différentes. Est-ce que le "je taime" vaut toujours le coup ? Est-ce quon ne peut pas trouver dautres mots, vu que ce sont des mots qui reviennent ? Avec "Questions and Answers", je me suis demandée : "où est ce quon va ?". Il y a des chansons qui te dépassent complètement : "I.C.U", je lai écrite en vingt minutes. Je me suis réveillée, elle était là Ce qui est heureux cest que sur lalbum, beaucoup de chansons ont été écrites dans lannée. Ce ne sont pas de vieilles chansons qui ont perdu leur sens. Ce sont des "névroses de maintenant". Lou Doillon se produira en concert à la Flèche d'Or (Paris), les 24 et 25 octobre prochains. Podcast
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