SheilaVariete Francaise » Variété française
dimanche 04 avril 2021 12:40
Sheila en interview : "Comment je peux être encore debout après avoir vécu tout ça ?"
Par
Julien GONCALVES
| Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Sheila sort son nouvel album "Venue d'ailleurs" où elle fait un bilan de sa vie. En interview pour Pure Charts, la chanteuse se confie sur ses débuts, son énorme succès et l'impact sur sa vie, son fils Ludovic, son engagement contre le racisme ou encore son statut d'icône. Rencontre avec une artiste libre.
Crédits photo : DR
Propos recueillis par Julien Gonçalves. Vous sortez votre 27ème album "Venue d'ailleurs". Est-ce que vous avez toujours le trac ? Le trac, non, mais je suis impatiente de caractère. J'ai très envie de voir la réaction des gens parce que cet album, je le porte depuis quatre ans. Je suis passée par toutes sortes de choses avant d'arriver à ce que je voulais car j'avais une idée bien précise : boucler la boucle et avoir la possibilité de retravailler avec tous ceux avec qui j'ai travaillé dans ma vie. Pour les années 60, c'est compliqué car ils ont tous disparus ou alors ils sont à la retraite et ne veulent plus écrire. J'ai commencé par les Américains, car cette idée sans eux, ce n'était pas possible. Nile (Rodgers, ndlr) m'a dit oui tout de suite, même sans que je lui demande. Il m'a produit une chanson. C'est magnifique car il ne le fait plus ! Mais notre histoire, c'est autre chose... Après j'ai appelé Keith Olsen. Si je l'avais écouté, il m'aurait fait un triple album ! J'ai toujours pris des risques Ce qui est flatteur !Oui. Vous savez, pour les gens de l'extérieur ce sont des monstres mais pour moi, ce sont mes potes ! Nile c'est vraiment une âme soeur. Je suis la seule production étrangère de CHIC Organization. Lui, ça fait partie de sa vie comme moi il fait partie de la mienne. Je touche du bois, il ne m'a jamais dit non. Hormis les chansons, on a une relation humaine très importante. Keith Olsen, lui, nous a quitté l'année dernière, ça m'a fait un choc, c'est mon frère, my bro. Je dois être sa dernière production... Il m'a fait de beaux cadeaux avec Jason Scheff, le chanteur de Chicago, et Alex Ligertwood, le chanteur de Santana pour faire mes choeurs. C'est la grande classe ! C'est au-delà de la classe, là je n'en peux plus. (Rires) Voilà, je suis impatiente d'avoir les retours du public car c'est risqué... Enfin, je m'en fous j'ai toujours pris des risques. Mais c'est gonflé car il y a tous les styles de musique : du rock, de la funk, du piano-voix, des titres plus spirituels... C'est une vie. Une gamine qui a commencé à 16 ans et, beaucoup d'années après, on fait le point. Je devais être artiste, je ne me voyais pas autrement Même après 60 ans, quand vous sortez un album, vous sentez que vous avez encore quelque chose à prouver ?Je ne veux rien prouver aux gens, je veux me prouver à moi-même ! Par contre, j'aime apprendre donc je me mettrais toujours en compétition et je prendrais toujours des risques. C'est ça qui m'excite dans ce métier. Je n'aime pas la routine, j'ai horreur de rester assise sur ma chaise, donc je tente ! Personne ne peut en parler mieux que moi de tout ça, parce que c'est mon histoire. Je n'ai laissé personne intervenir, et il y en a qui ont essayé, sauf les gens avec qui j'ai décidé de travailler. On me demande souvent pourquoi je n'écris pas mes chansons. J'écris des bouquins mais je ne suis pas capable d'écrire par exemple "La rumeur" comme c'est écrit là. Ce n'est pas mon métier. Vous avez déjà essayé ? Oui bien sûr, mais je ne me trouve pas bonne. Ça ne me plait pas, ce n'est jamais comme je veux. Et puis, il y a tellement de bons auteurs, c'est dommage de ne pas les utiliser. Vous vous souvenez pourquoi vous avez voulu faire ce métier à l'origine ? Je ne me voyais pas faire autre chose ! Quand j'étais enfant, je voulais faire du cirque, ensuite j'ai voulu être à l'Opéra de Paris. J'ai joué du piano aussi. Je devais être artiste, je ne me voyais pas autrement. Ma mère chantait très très bien. Elle était invitée partout pour chanter. Ma grand-mère ne l'a pas laissée faire ce dont elle avait envie. C'est peut-être par rapport à ça que ma mère ne m'a jamais mis de frein. Dans les années 60, il n'y avait pas de jean, les filles ne sortaient pas, la majorité était à 21 ans ! Je pense que ça vient de ma maman, de la confiance que mes parents avaient en moi. Ils me surveillaient mais ils ne m'ont pas bridée. Gamine, j'allais quand même danser durant les entractes au cinéma le dimanche, au Gaumont, à Paris. Depuis la disparition de Ludo, je suis encore plus seule Qu'est-ce qui vous donne encore envie de faire ce métier après toutes ces années ?Parce que je m'amuse ! J'ai remonté une équipe, je travaille avec des gens que j'aime. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il s'est passé plein de choses dans ma vie. Je suis fille unique, je suis seule, et depuis la disparition de Ludo, je suis encore plus seule. Moi, j'aime la troupe ! Pour cet album, j'ai essayé de travailler avec plein de gens, qui m'ont coûté des blindes d'ailleurs, mais tout le monde voulait m'orienter. Or, moi je veux prendre du plaisir. Mon but ce n'est pas d'être numéro un. Si je le suis, je suis contente ! Mais je fais ce métier pour apporter du plaisir aux gens, de leur donner quelque chose de différent. Je voulais emmener les gens sur ma route avec ma musique, mes émotions. Comment vous avez vécu le succès à vos débuts ? J'avais 16 ans ! Mais je n'ai pas compris. J'ai fait une audition, j'ai été chanter une fois en studio, Jacques Plait et Claude Carrère ont appelé mes parents, ils ont signé le contrat pour moi car j'étais mineure, et huit jours après j'ai enregistré "Jolie petite Sheila". Et voilà ! Le succès a été moyen sur celui-là, mais mon deuxième disque c'était "L'école est finie". Je n'ai rien vu ! J'arrivais des marchés, j'étais une gamine, surtout à 16 ans dans les années 60, vous vous imaginez ? En réalité, je suis une besogneuse alors j'ai passé mon temps à apprendre les choses que je ne savais pas faire. Aller en télé et tout ça, je ne savais pas comment ça marchait. Au départ, je n'ai fait que travailler. Ce qui a été incroyable c'est la vitesse à laquelle ça a été. Je n'ai eu que des tubes à l'époque, j'ai été emportée par le truc. Je m'en fous d'être une icône Vous ne l'avez jamais ressenti finalement ?Si, la chose qui m'a le plus choqué, c'est que je ne pouvais plus aller faire mes courses. C'est la perte de liberté, tu es cachée tout le temps. Depuis cette époque-là, j'ai peur de la foule. Au début, je ne me suis pas rendu compte. Ça a été un peu plus tard. J'ai commencé à m'en apercevoir quand il y avait des filles qui étaient coiffées ou habillées comme moi dans la rue, ça fait bizarre. Là, je me suis dit : "Mais qu'est-ce qu'il passe ?". Mais avec Claude Carrère, je n'ai pas arrêté, j'étais tout le temps sur la suite, la suite, la suite. Et votre statut d'icône, vous êtes à l'aise avec ça ? Je ne suis pas du tout à l'aise avec ça, "culte", "icône"... Evidemment, je me rends compte, ça va faire 60 ans que je chante, mais je n'ai pas cette sensation-là, j'ai l'impression d'avoir 40 ans dans ma tête. Je suis en décalage total. Quand je regarde, je me dis : "Mais comment je peux être debout encore après avoir vécu tout ça ?". Mais je suis une dévoreuse de la vie, j'avance. Je n'aime pas regarder derrière. Quand Kylie Minogue dit que je fais partie de ses icônes disco, c'est plutôt flatteur et je me dis qu'il s'est peut-être passé quelque chose ! (Rires) Je m'en rends compte mais je m'en fous. Mon but, ce n'est pas d'être une icône, c'est de chanter et de passer des moments extraordinaires avec les gens. Avec le titre de Nile là, notre but c'est remettre les gens sur le plancher, 42 ans après. C'est le jeu ! Je fais ce métier comme un jeu. Il faut que ce soit du plaisir. J'ai peu de gens autour de moi, il faut qu'on s'amuse. Si ça commence à être lourd, que tout est compliqué, j'arrête. Tant que je prendrais du plaisir, je chanterais. Regardez le clip "Tous yéyé" de Sheila : Votre nouveau single est "La rumeur", où vous évoquez notamment votre rapport à la presse people qui n'a pas été tendre avec vous. Et ça tout au long de votre carrière... Toute ma vie ! Lancer une rumeur, c'est un assassinat programmé Comment vous expliquez cela ?Parce qu'ils en tirent profit. Si je ne faisais pas vendre de journaux, je ne serais pas en Une. C'est aussi bête que ça. Il y a deux presses spécifiques qui me suivent systématiquement depuis mes débuts. Je fais des procès à chaque coup mais ils s'en foutent. Visiblement, ils gagnent plus d'argent en me mettant à la Une que ce que ça leur coûte en procès. J'ai toujours été harcelée par ces gens-là. A l'époque, je ne connaissais rien, je ne savais pas qu'on pouvait attaquer ni que ça rapportait de l'argent quand on gagne. Et les lois n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Il n'y avait que deux journaux. Aujourd'hui, vous dites une phrase et ça fait le tour des réseaux sociaux. J'ai découvert plus tard que cette rumeur (qu'elle serait un homme, ndlr) avait été lancée par mon producteur. C'est un peu glauque mais c'est comme ça. Vous avez voulu faire passer un message aussi ? J'ai fait cette chanson aussi pour alerter oui. On ne se rend pas compte des répercussions que ça a dans une vie, si tu n'es pas solide, franchement... Il y a des gamins qui se suicident. C'est terrible la rumeur, et non pas parce que c'est écrit sur Facebook ou autre. C'est terrible à cause des gens autour. Vous vivez sous le regard des autres, et c'est horrible. Vous devenez un animal traqué. A l'époque, j'ai beaucoup pleuré dans les bras de ma mère, mais on ne peut pas s'imaginer que ça va prendre une ampleur pareille. C'est encore plus dangereux aujourd'hui. Et puis c'est anonyme souvent. Donc qui attaquer ? Il faut en parler. C'est un assassinat programmé. Ça vous a fait du bien de chanter cette chanson et de vous approprier ce sujet ? Ça m'a fait du bien parce que c'est mon histoire et parce que j'aime remettre les pendules à l'heure. C'est dans mon caractère. Et au moins, comme ça, les cibles sont fixées. Je veux qu'on arrête de raconter n'importe quoi sur mon fils On vous parle beaucoup de votre fils Ludovic puisque vous lui rendez hommage avec la chanson "Cheval d'Amble". Mais je me suis demandé, est-ce que c'est douloureux pour vous de parler de lui aujourd'hui ?J'aimerais qu'on le laisse tranquille, c'est pour ça que j'ai fait cette chanson. Mon fils est parti, ça va faire quatre ans au mois de juillet. Ce qui me gêne c'est qu'en réalité, ce n'est pas pour lui qu'on en parle, c'est par rapport à moi et aux histoires plus ou moins nauséabondes. Il ne mérite pas ça. Il est parti, il a fait un choix, qu'il a choisi ou pas, je ne sais pas. Je veux qu'il soit dans la lumière, je veux qu'on arrête de raconter n'importe quoi. Ça renchérit toujours avec des gens qui parlent etc... On ne sait pas qui il était. Je veux le laisser en haut, qu'il surveille sa mère, qu'il aide sa mère et qu'on lui foute la paix. Vous allez donc fêter vos 60 ans de carrière sur scène. De quoi vous êtes le plus fière ? Il y a pas mal de choses. J'ai été déclaré le plus beau regard aux Etats-Unis dans les années 80 ! (Rires) Il faut fouiller dans la presse pour retrouver ça. Non mais plus sérieusement, j'ai été commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres. C'est pas mal pour une petite fille qui sort des marchés ! Je m'en fous des récompenses mais ça fait toujours plaisir. Et puis, je suis fière de la collaboration avec les Américains. C'est vrai que j'étais très avant-gardiste. Je me souviens, j'étais en combinaison or transparente, avec un short et deux broderies en flammes sur les seins. On était en 1979 ! Ça vous venait d'où d'oser comme ça ? Je suis barrée ! (Rires) On était en plein dans l'époque disco, tout le monde a lâché la bride. Dans le monde entier, on a joué la même musique, c'était partout. Ça a été la libération de tellement de choses, tout le monde a assumé ce qu'il était. Les gens se sont lâchés, ça a aidé la communauté homosexuelle aussi. Et j'ai eu de la chance parce que ce public m'a suivi. Comme ce sont des fêtards, des gens qui ont du goût et qui sont fidèles. A mes concerts, il y a 60% de personnes homos et le spectacle est aussi dans la salle. J'adore ! A travers ces 60 années, je suis entrée dans leur vie, ça leur rappelle des souvenirs, c'est un voyage à travers leur vie, et je le vois dans leur regard. Pour moi, un être humain est un être humain, peu importe la couleur Vous avez reçu le prix de la chanson antiraciste en 1971 pour "Blancs, jaunes, rouges, noirs". Ensuite, vous avez bousculé les codes avec votre groupe S.B. Devotion à la fin des années 70. D'où vous vient cet engagement, assez naturel ? Vous deviez vous sentir un peu seule à l'époque non ?Pour moi, un être humain est un être humain, il est bon ou mauvais, peu importe la couleur. Même dans les années 70, je pensais ça ! Les religions et les couleurs divisent... Je pense que ça vient de mon éducation, de mes parents. Le premier groupe que j'ai monté à l'école, on était de toutes les couleurs, de religions diverses, on s'en foutait, on chantait. Moi, ça ne me vient pas à l'idée. Je la revendique cette chanson "Blancs, jaunes, rouges, noirs", je l'ai même reprise à l'Alhambra il y a quelques années. Je me suis toujours sentie investie d'une mission. Ça me parait important de défendre ça. Quels rêves avez-vous encore en tête ? Au moins 2750 ! (Rires) J'ai plein de rêves. Conseil : si on ne rêve plus, on tombe. Moi ma vie, ce sera toujours avec un rêve. Je ne les ferai pas tous, mais j'ai toujours des projets. Je regarde jamais derrière, là on en parle, mais je pense toujours à après. Il reste plein de choses à faire !
Pour en savoir plus, visitez le site internet officiel de Sheila.
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