Crédits photo : Olivier Hoffschir
C'est une simple question posée au détour d'une interview classique. Mais qui met en lumière un problème majeur de l'industrie musicale. Interrogés par
Billboard à l'occasion de la sortie de leur nouvel album
"For That Beautiful Feeling", les Chemical Brothers ont révélé qu'ils ne feront pas de tournée aux Etats-Unis pour défendre ce dixième opus. Une surprise pour le duo phare de l'électro britannique depuis 30 ans, qui s'est pourtant produit à Coachella en avril dernier, mais qui s'explique par des raisons financières. «
Les coûts ont tellement explosé [depuis la pandémie] » explique Ed Simons, l'un des deux membres des Chemical Brothers : «
Ce n'est pas vraiment viable pour le moment. Je suis désolé pour tous les gens qui voulaient nous voir mais c'est désormais très compliqué pour nous de venir jouer aux Etats-Unis, d'autant plus qu'on a vécu de supers moments en jouant là-bas ».
Le player Dailymotion est en train de se charger...
De plus en plus de groupes abandonnent
La réponse d'Ed Simons n'est qu'une parmi tant d'autres. En effet, ces deux dernières années, bon nombre d'artistes britanniques ont dû renoncer à leurs tournées sur sol américain. Et peu importe la popularité. Ainsi, la rappeuse londonienne Little Simz a préféré annuler ses 10 concerts aux Etats-Unis par peur de «
l'énorme déficit » financier que cela lui aurait coûté. Le groupe Metronomy a aussi tiré un trait sur sa tournée américaine : «
Tourner en Amérique, c'est l'une des choses les plus épuisantes et chères pour un groupe. Quand tu es un jeune groupe, ce temps passé à faire le tour des Etats-Unis est la seule chose que tu veux faire. Quand tu vieillis, tu commences à comparer le temps que tu passes sur la route avec le temps que tu passes à la maison avec tes proches ». Et ils ne sont pas les seuls. Ces deux dernières années,
Placebo ou alt-J ont annulé des concerts pour des raisons logistiques (problèmes de visas...) tandis que Disclosure, Wet Leg, Sam Fender ou Arlo Parks ont renoncé pour des raisons de santé mentale. Même Santigold, artiste américaine de Philadelphie, a annulé une tournée dans son propre pays, en mettant en cause «
l'explosion en flèche [du prix] de l'essence, des tour bus, des hôtels et des vols ».
Roger Daltrey, chanteur du légendaire groupe The Who, a lui aussi reconnu que sa bande pourrait ne plus jamais rejouer aux Etats-Unis : «
Nous n'avons pas pu trouver une assurance pour la tournée et la plupart des groupes qui jouent des grosses salles (...) se retrouvent avec 600.000 à un million de dollars de déficit avant même de jouer. Si vous faites une tournée de 12 dates, ça commence à être rentable au bout de sept ou huit concerts (...) Si vous avez le Covid après le premier concert, vous perdez tout ». A contrario, des groupes de plus petite envergure comme Shame, CHVRCHES ou Yard Act ont multiplié les concerts aux USA ces dernières années. Mais en jouant dans des petites salles et en n'ayant pas de grosse scénographie, contrairement aux Chemical Brothers. Et hors de question pour les deux artistes électro anglais de proposer au public américain un show au rabais. «
Notre [scénographie] vient du fait qu'on ne veut pas infliger [au public de voir] deux gars se tenir bizarrement derrière nos synthétiseurs. Donc nous voulions un gros support, mais ça n'a fait que grandir et nous avons désormais des clowns de 12 mètres qui chantent [sur des écrans] » analyse Ed Simons.
Un différence de production entre la France et les Etats-Unis
Mais pourquoi ces tournées aux Etats-Unis, auparavant l'eldorado pour n'importe quel groupe, sont devenues si risquées ? Dans les colonnes de
Télérama, Pierre Blanc, directeur de Talent Boutique (Metronomy, Lomepal, Eddy de Pretto) explique que la situation diffère entre la France, où les tournées sont organisées par les tourneurs, et l'Angleterre et les Etats-Unis, où «
les musiciens sont souvent producteurs de leurs concerts : ils doivent assumer eux-mêmes la rentabilité de leur tournée et le risque financier ». De ce fait, les artistes se retrouvent souvent dans des situations financières compliquées, sans compter les complications pour obtenir un visa d'artiste (1.500 dollars selon Pierre Blanc) et les dépenses locales. Pierre Blanc prend ainsi l'exemple de la tournée américaine de L'Impératrice l'an dernier, qui a coûté 25.000 dollars, rien que pour les déplacements du groupe. Dans un pays où les frais de toutes sortes ont explosé ! Sans compter le prix des places... Ainsi, il fallait notamment débourser 200 dollars en fosse pour une place à New York pour la tournée commune de Beck et Phoenix.
Mais la situation est aussi compliquée dans l'autre sens : en effet, beaucoup d'artistes très populaires aux Etats-Unis, et moins en Europe, réduisent au minimum leur venue sur le Vieux Continent. Par exemple, le groupe HAIM n'a fait que deux concerts à Londres cet été et Billy Joel limite ses venues européennes à l'Angleterre et l'Allemagne. Sans parler des artistes country comme Morgan Wallen ou Luke Combs, capables de remplir des stades dans leur pays mais qui se limitent à des petites salles en Europe (comme La Cigale dans le cas de Luke Combs). Et ce quand ils veulent bien franchir l'Atlantique... Alors, le jeu en vaut-il la chandelle ? «
Les artistes américains sont clairement moins nombreux à venir en Europe ces dernières années. Mais ce fléchissement sexplique aussi par le regain du marché de la musique aux États-Unis » conclut Pierre Blanc, pointant du doigt l'explosion des cachets. Voir les artistes dans leur pays d'origine semble donc être la meilleure option... quoiqu'onéreuse ! A noter que le mouvement #LetTheMusicMove a été lancé en juin 2021 pour permettre aux artistes britanniques d'obtenir des réductions de coûts post-Brexit pour tourner en Europe. Mais la mesure est désormais étendue aux Etats-Unis.