Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Aurélie Saada lance sa première tournée en solitaire. En interview pour Purecharts, la chanteuse se confie sur la fin du duo Brigitte, son album solo "Bomboloni" ou encore l'importance de ses origines et du cinéma dans son travail. Rencontre !
Crédits photo : Diane Sagnier
Propos recueillis par Théau Berthelot.
Tu lances ta première tournée solo ce soir à Aix-en Provence. Comment tu te sens ?
Excitée ! Et à la fois, c'est une nouvelle aventure donc c'est se lancer dans l'inconnu. Il y a quelque chose d'à la fois assez excitant et qui donne un peu le trac. (Sourire)
C'est comment de se projeter seule sur scène après l'aventure Brigitte ?
On redécouvre des sensations... C'est assez nouveau pour moi, mais c'est aussi intéressant car ça me permet d'explorer un peu plus ma voix, une forme d'émotion différente. Je vais essayer de donner à ce spectacle quelque chose de très humain, de très chaleureux, un vrai voyage intime. Je crois que les chansons que j'écris racontent des choses très personnelles de ma vie, mais souvent plus on est personnel, plus on fait écho aux vies des autres. Souvent, des personnes m'écrivent pour me dire "Vous racontez ma vie ! C'est mon histoire ! Même si je suis d'origine algérienne, votre chanson sur la Tunisie j'ai l'impression que c'est mon histoire...". Donc j'aimerais que mon concert soit un peu comme un endroit, un refuge ou une maison. Quelque chose de familier pour que les gens se sentent bien et se promènent dans les émotions.
Aujourd'hui, la fin de Brigitte reste encore douloureuse à tes yeux ?
J'ai tellement aimé faire Brigitte, c'est l'aventure qui m'a rendue si heureuse. J'ai adoré travailler avec Sylvie, passer ces années sur la route ensemble à partager, c'était magique ! Aujourd'hui, une page se tourne, on va vers autre chose l'une et l'autre. C'est pas douloureux, c'est la vie en fait ! La vie est faite de choses comme ça : on se rencontre, on se sépare... C'est comme l'amour ! Et on vit d'autres choses. Il faut toujours embrasser la situation dans laquelle on est. Avant de rencontrer Sylvie, j'ai essayé de faire des disques toute seule qui étaient ce qu'ils étaient, aujourd'hui sans Sylvie je fais autre chose, que ce soit des films ou de la musique. C'est ça qui est intéressant, de se dire que dans la vie, on peut toujours se réinventer.
Pourquoi vous n'avez jamais communiqué publiquement dessus ?
On l'a pas fait. Est-ce que ça veut peut-être dire que ce n'est pas totalement fini ? (Rires) Peut-être... On n'avait peut-être pas vraiment envie d'acter ça... Je ne sais pas, c'est quelque chose qui est beaucoup trop intime pour le figer dans une interview...
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Aujourd'hui, avec cette tournée et cet album "Bomboloni", il y a donc l'idée de remettre les compteurs à zéro ?
Pas vraiment... J'avance avec ce que la vie m'offre. J'ai toujours écrit des chansons : j'écrivais dans Brigitte et je continue à écrire. Quand Brigitte s'est terminé, j'ai écrit les chansons de mon film, j'ai continué à écrire les musiques du film de Stéphanie Pillonca, j'ai continué à écrire des chansons, puis j'ai eu envie de les chanter. En fait, il n'y a pas de compteur à zéro, il y a quelque chose de beaucoup plus organique et plus doux que ça.
C'est plutôt un nouveau chapitre, une nouvelle aventure donc !
Oui ! C'est même pas par rapport à Brigitte, mais c'est la suite de mon chemin. Il était avec Brigitte, peut-être que demain il sera avec quelqu'un ou toute seule... Je ne sais pas en fait ! Ce qui est intéressant quand on écrit, c'est de toujours travailler avec ce qu'on a comme émotion et comme vivant devant nous. Avec la matière qu'on a, que ce soit nos souvenirs, nos désirs, le désir des autres aussi !
Les gens connaissent Brigitte. Aurélie Saada, ils ne connaissent pas encore
Dans cette nouvelle aventure, il y a aussi le fait de passer des Zénith à des salles plus intimes...
Ah j'adore ! (Rires) Je suis très contente ! Ça demande une forme d'humilité de repartir. C'est comme quelque chose qui redémarre. Les gens connaissaient Brigitte, ils savaient ce qu'ils allaient voir. Aurélie Saada, ils ne connaissent pas encore ! C'est le bouche-à-oreille qui fera la vie du projet. Chaque aventure est très excitante et, pour l'histoire, j'adore jouer dans des salles où il y a une vraie proximité avec les gens. J'aime me fondre dans les gens, j'aime me confondre avec le public. Sur scène, j'ai toujours plongé profondément mes yeux dans les gens qui sont en face de moi. J'ai besoin de ça, j'ai besoin qu'on aille au milieu de la foule, déjà avec Brigitte on le faisait. Je suis très heureuse de faire des petites salles, il y a quelque chose de chaleureux et de très humain. Je m'amuse moins quand je suis dans une grande salle. Limite, je suis très à distance et je tiens pas très longtemps, je m'ennuie.
L'idée de cet album solo trotte depuis longtemps dans ta tête ?
J'ai fait mon film "Rose" qui est sorti il y a un an et qui m'a pris beaucoup de temps. Jusqu'à il y a un an, j'étais occupée sur mon film. J'écrivais un peu pendant les vacances, quand j'étais un peu seule, quand l'inspiration venait, mais c'était assez récent en fait.
Quand on est seule, on se raconte notre histoire différemment
"Bomboloni" est un album très solaire, marqué par la mise en avant de tes racines tunisiennes. Pour se présenter en solo, c'était évident de revenir aux origines ?
Je fais pas tellement de calcul comme ça, mais comme je creusais des choses personnelles et intimes, ça m'a permis de pouvoir parler de choses dont je ne pouvais pas parler au sein de Brigitte. Parce que quand on chante à deux, même s'il y avait beaucoup d'histoires intimes, c'était compliqué de partager ce rapport aux origines. On n'avait pas la même histoire donc il fallait trouver quelque chose de commun. Et quand on est seule, on relit son histoire, on se la raconte et on se la questionne différemment. C'est vraiment un disque qui parle d'origines de plein de choses : des origines au sens premier, mais aussi ce qui fait que je fais le métier que je fais. Il y a une chanson qui parle des violences sexuelles que j'ai vécues enfant. C'est peut-être ce qui m'a poussée à être finalement artiste, à créer, à monter sur scène, à donner quelque chose de moi de mon intimité sur scène. Sauf que cette fois-ci, c'est moi qui décide en prenant les rênes. Avec ce disque, je voulais dire que tout ce qu'on a vécu, que ce soit des choses terribles ou des chagrins, tant qu'on est vivant on a toujours la possibilité d'en faire quelque chose. Je crois que c'est un disque dans lequel il y a beaucoup d'espoir. Et de la joie car c'est un peu lié.
Il y a eu là l'idée de se "réapproprier" tes origines ?
Oui, et se réapproprier son histoire ! Qu'est-ce qui fait qu'on fait ce qu'on fait ? D'où on vient ? Qu'est-ce qu'on peut en faire de notre histoire ? C'est une façon de se rapproprier son histoire et en faire quelque chose.
Il paraît que tu n'étais jamais allée en Tunisie avant le tournage du clip de "Tunisie" l'été dernier.
Oui, je n'y étais jamais allée avant ! C'était tellement immense ! C'était si émouvant : je me souviens quand j'étais à l'aéroport et que j'ai vu "Tunis", j'ai pleuré. Je me disais "Papa, maman, je retourne sur les traces d'où vous êtes nés et où vous avez grandi, je vais aller réparer un tabou, je vais renouer avec mon histoire profonde". C'était très très émouvant pour moi.
J'avais envie de donner cette ampleur à mes chansons
Ta passion et ton travail dans le cinéma se ressentent sur cet album qui est très imagé, je trouve...
Je suis folle de cinéma, du cinéma hollywoodien, des grandes épopées et des westerns. J'aime le grand spectacle. C'est vrai que j'aime ça dans la musique aussi. J'écoute beaucoup de jazz, c'est vraiment ma musique de chevet. En continuant à aller dans les choses personnelles, à la fois dans les textes mais aussi dans la musique, j'avais envie de donner cette ampleur à mes chansons. On vit une époque où on va de plus en plus vers des choses très minimalistes, avec une voix, un beat, deux effets, plus aucun musicien... Des choses très très épurées ! C'est vrai que je suis un peu à contre-courant car je voulais tout l'inverse : travailler avec de vrais musiciens dans un vrai studio où on enregistrait tous ensemble. Du coup, ça laissait place à l'imperfection, à la magie de l'imperfection du vivant. On vit une époque où on court après une espèce de perfection aseptisée et c'est dommage. J'aime quand on s'y attend, quand ça bouscule... Je trouve que la poésie et l'humanité, c'est là ! C'est vrai qu'il y a un côté hyper cinématographique : il y a des cordes, un orchestre, des cuivres. Mais aussi parce qu'on sortait d'une période où on était tous enfermés chez nous et j'avais envie de beaucoup de musiciens. Il y avait ce besoin de grand air et de nombre.
Musicalement, il y a tout de même quelques gimmicks qui rappellent Brigitte. C'était difficile de s'en détacher ?
Oh ça, c'est parce que j'ai dû écrire tous ces titres de Brigitte ! (Sourire) Je pense qu'on écrit des choses assez proches. On a une façon d'écrire mais je ne suis pas devenue quelqu'un d'autre, je suis toujours la même que dans Brigitte.
On court après une perfection aseptisée
Tu parles beaucoup de "bras" dans les paroles de cet album. Faut-il donc voir l'album comme une sorte d'étreinte ? Ou quelque chose de réconfortant ?
Totalement ! Je pense que c'était inconscient et, en même temps, c'est ce qui compte le plus pour moi. J'adore prendre dans mes bras, enlacer. C'est un geste qui compte beaucoup pour moi. D'ailleurs, je pense qu'on ressent très fort une personne à la façon de nous prendre dans les bras ou de se toucher les uns les autres. J'aime ça, enlacer, poser mes bras autour. Je crois que dans la vie, on a toujours plus besoin de s'occuper des autres que de soi. C'est quelque chose qui est très précieux dans l'humanité.
C'est ce qui donne un aspect chaleureux et réconfortant à l'album, malgré des chansons qui parlent de coeurs brisés.
C'est vrai ! C'est pas parce qu'on a le coeur brisé qu'on ne peut pas prendre dans les bras, au contraire ! Je crois qu'il y a quelque chose dans la faille qui laisse passer un peu plus d'humanité.
C'était important pour moi d'alerter sur ce que vivent les enfants
Tu l'as évoqué tout à l'heure, "La grange aux belles" est un titre où tu évoques les agressions sexuelles que tu as vécues à la maternelle. Ecrire ce texte a-t-il eu une vertu cathartique ?
J'ai toujours vécu avec cette histoire. Je ne l'avais pas racontée en chanson mais une petite voix en moi me disait "Un jour tu la raconteras cette histoire parce qu'elle n'est pas anodine". Elle m'a marquée, mais elle m'a aussi permise de la dépasser et d'en faire quelque chose. Et je crois que c'est surtout ça qui est important dans cette histoire. C'était important pour moi d'alerter sur ce que vivent les enfants, qui sont vraiment ceux à qui on donne le moins la parole, après les femmes. On leur donne peu la parole et on ne les écoute presque pas. C'est même très difficile pour eux de prendre la parole et de trouver les mots pour dire ces choses-là. Moi je l'ai ressenti, donc je sais à quel point j'étais incapable de trouver les mots et j'avais peur de faire peur à mes parents. C'est une façon à la fois de soulever cette question et dire que même le pire, on peut en faire quelque chose. On ne pourra pas échapper à ce qui fait du mal dans la vie, mais on pourra toujours en faire quelque chose de positif.
Le fait d'en parler, c'est nécessaire pour libérer la parole dessus...
Pour qu'on fasse attention aux petits, en fait ! Pour qu'on soit plus attentifs. Ça m'est arrivée il y a 40 ans et j'ai grandi à une époque où les adultes imaginaient pas que les enfants puissent faire ça. C'était bizarre parce qu'ils avaient été enfants aussi, mais c'est comme s'il y avait une amnésie autour de ça. On faisait moins attention. Peut-être qu'aujourd'hui on est plus attentifs, j'espère...
Ça a été difficile d'en parler ?
C'est venu d'un coup ! Comme beaucoup des chansons très intimes que j'écris, que ce soit "Je veux un enfant" ou "Mon intime étranger"... Ce sont des chansons qui viennent comme des cris. En général, je me mets au piano et, dans les heures qui suivent, elles sont complètement écrites. Ce sont des histoires qu'on a en nous depuis longtemps, quand elles arrivent à un moment donné sur le piano, ça fait longtemps qu'elles sont dans nos coeurs et dans nos têtes.
Certaines chansons viennent comme des cris
Tu n'es pas nommée aux Victoires de la Musique cette année. Est-ce que ça te déçoit ?
Je pense que je suis beaucoup plus discrète que ceux qui sont nommés, qui sont des profils très populaires. Ça va avec ces nominations, ce sont des gens qu'on voit beaucoup. Moi j'arrive avec mon projet tout frais, il faut le temps que les choses s'installent...
On t'a tout de même pas mal vu à la télé, je pense notamment au prime sur Michel Polnareff. Les gens doivent quand même t'identifier !
Peut-être... En fait, je n'ai jamais vraiment su, il faut demander aux gens. (Rires) Après, je n'ai jamais été une bête de concours. Il y a des profils meilleurs que ça, moi ce n'est pas trop mon truc. Moi, je n'ai jamais eu la fève à la galette des rois. (Rires)
C'est quand même important pour toi les récompenses, la reconnaissance médiatique ?
Bien sûr ! C'est important la reconnaissance des gens avec qui je travaille, des gens du métier... On fait un métier public donc si ça touche personne, faut peut-être songer à changer de métier. (Rires) Mais c'est vrai que j'ai eu la chance d'avoir que des papiers magnifiques sur ce disque depuis qu'il est sorti, il est très soutenu par le public qui l'écoute. D'avoir eu des messages si tendres et si humains... C'est sûr, même si ce n'est pas gros comme Brigitte, ça me touche énormément et j'espère que cet enfant, ce disque, que j'aime tant et dans lequel j'ai mis tant de choses importantes, j'espère qu'il aura une jolie vie.