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samedi 10 novembre 2012 18:00

Ne-Yo : "Artistes, labels... Plus personne ne fait d'effort !"

Lundi en Europe et mardi aux Etats-Unis, Ne-Yo a dévoilé son nouvel opus, "R.E.D", qu'il a choisi de sortir le jour de l'élection présidentielle américaine. Un symbole pour ce chanteur engagé qui enchaîne les succès. L'occasion pour Pure Charts de s'entretenir avec lui, d'évoquer la dance, qu'il a été le premier à intégrer dans les titres urbains, mais aussi le manque d'ambition de nombreux artistes, ses chansons pour les stars féminines (Rihanna, Beyoncé) ou encore l'autotune qui ruine le R&B et son soutien à Obama. Entretien.
Crédits photo : YouTube
Propos recueillis par Charles Decant.

Commençons par parler un peu de votre nouvel album, "R.E.D.". Vous aviez l'habitude de sortir un album par an ou presque et celui-ci a pris plus longtemps. Pourquoi ?
C'est vrai tiens, pourquoi ? En fait, c'est en grande partie à cause du précédent. J'ai eu le sentiment d'avoir fait pas mal de petites erreurs idiotes avec le précédent. J'étais tellement enthousiasmé par tout ce que j'avais appris sur le tournage des films que j'avais faits, et j'ai voulu intégrer tout ça dans ma musique. Du coup, je n'ai pas été aussi attentif que d'habitude à certaines choses.

C'est-à-dire ?
Je n'ai pas prêté assez attention à la musique sur cet album parce que j'étais à fond dans le côte visuel. Voilà ce qui arrive quand on tente des choses qu'on n'a jamais faites avant. Mais avec ce nouvel album, je me suis dit qu'il fallait que je revienne à la base, et que tout soit parfait. Donc si ça a pris si longtemps, c'est que je voulais que les titres soient aussi bons que possible avant de le sortir. A l'origine, l'album devait sortir plus tôt, mais on l'a décalé. Il y avait des titres qui étaient bons mais qui n'étaient pas dingues. J'avais le sentiment de pouvoir faire mieux et c'est ce qui est arrivé : on a enlevé quelques titres et on les a remplacés par d'autres.

Je n'abandon-nerai jamais le R&B
Qu'est-ce qui différencie cet album des précédents ?
C'est le plus équilibré de tous ceux que j'ai faits. Les gens disent que "Year of the Gentleman" était mon meilleur album mais selon moi, il avait un défaut, c'est qu'il n'y avait qu'un seul titre comme "Closer". Donc si tu étais fan de dance, il n'y avait qu'une chanson sur treize pour toi ! Donc sur celui-ci, j'ai fait attention à satisfaire aussi bien mes fans qui aiment le R&B pur et dur et ceux qui aiment la dance et la pop. Il y a beaucoup plus de titres uptempo sur celui-ci que sur tous les précédents. Mais le R&B est dans un état tel qu'il fallait que je fasse une déclaration d'intention. C'est d'ailleurs pour ça que le premier single était un titre R&B et ensuite j'ai enchaîné avec "Let Me Love You". Je voulais dire aux gens que, même si je faisais des titres pop et dance, le R&B restait la base de tout. Ce sont mes origines et je n'abandonnerai jamais ça.

Est-ce que vous êtes plus à l'aise aujourd'hui avec les titres uptempo qu'au début de votre carrière ? C'est votre titre "Closer" qui a tout changé ?
Avant "Closer", je n'avais jamais eu l'envie de faire des titres de ce genre. En fait, c'était un peu une expérimentation qui a fonctionné ! On a passé énormément de temps au Royaume-Uni à ce moment-là et dans les boîtes, en soirée, on ne passe que des titres dance. Donc quand je suis retourné aux Etats-Unis avec (les producteurs) Stargate, je me suis dit "Et si on essayait de voir à quoi ça ressemblerait si moi je faisais ce type de musique !". "Closer" en a été le résultat et la suite, on la connaît. Mais avant ça, je ne faisais que du R&B pur et dur. La dance ne faisait pas du tout partie de mes projets mais aujourd'hui que j'en fais, c'est un style que j'apprécie particulièrement. Et j'ai beaucoup appris sur les genres et les sous-genres. La différence entre house, la techno et trance, par exemple. Et les fans de dance sont très fidèles, comme les fans R&B d'ailleurs. Une fois qu'on les a séduits, ils te suivent. Et tu peux faire des erreurs mais ils ne te lâchent pas. J'adore ça !

"Closer" était un peu le premier vrai succès urbain qui incorporait la dance, avant les Black Eyed Peas même, alors qu'on dit souvent que ce sont eux qui ont fait tomber cette barrière avec "I Gotta Feeling". Vous étiez en avance sur la tendance, peut-être six mois trop tôt, et personne ne reconnaît le rôle que vous avez joué !
Ce n'est pas très grave. Les gens qui le savent, le savent et les autres... ne le savent pas ! Je ne suis pas du genre à me taper dans le dos et à dire "Regardez, tout le monde, regardez ce que j'ai fait !". Les gens qui sont au courant et qui apprécient ce que j'ai fait, merci à eux. Et les autres, tant pis.

Regardez le clip de "Let Me Love You (Until You Learn to Love Yourself)"



Le premier single européen est donc "Let Me Love You (Until You Learn to Love Yourself)". Dans une interview, vous auriez dit que c'était une chanson importante et qu'elle pouvait "changer le monde"... C'est vrai ?
Oui, c'est vrai. Je trouve qu'il y a beaucoup trop de manque de confiance en soi en ce moment, dans le monde. Les femmes font des opérations super dangereuses pour avoir des plus gros seins, des plus belles fesses, la totale... Personne ne sait vraiment ce que c'est que de s'aimer, de trouver la beauté en soi sans avoir à se changer, se transformer. Cette chanson parle de ça, de l'importance de comprendre comment s'aimer. C'est un titre dance, on peut aller en boîte et lever les mains en l'air en dansant. Mais si tu t'assois et que tu écoutes les paroles, ça peut t'aider !

La musique, comme l'amour, peut faire tomber des murs et des barrières
Vous ne pensez pas que c'est attendre un peu beaucoup d'une chanson ? Vous pensez vraiment qu'aujourd'hui, une chanson peut faire changer les choses, les opinions des gens ?
Absolument, oui. La musique est plus puissante qu'on le croit. Clairement. La musique et l'amour ont des aspects assez similaires. L'amour peut rassembler les gens, faire tomber des murs et des barrières. Et la musique aussi. Il faut juste qu'il y ait une vraie passion derrière le titre, une passion chez celui qui le chante. C'est pour ça que le pouvoir de la musique a un peu diminué ces derniers temps, notamment avec l'émergence de l'autotune. Ca donne l'impression que tout le monde sait chanter. Mais ce que les gens ne comprennent pas, c'est que même si ça donne cette impression, la personne qui chante n'a plus une voix humaine, elle a une voix de machine. Et il n'y a pas de passion derrière tout ça. C'est une des raisons pour lesquelles le R&B est dans cet état aujourd'hui. Le R&B est basé sur l'âme, il faut chanter avec son âme, avec passion, il faut vraiment y croire, ou au moins arriver à donner l'impression qu'on y croit. Mais quand on écoute la musique aujourd'hui, on n'y croit plus. On entend quelqu'un dire "Je t'aime" dans une chanson R&B et on n'y croit plus. Je n'entends plus de passion.

Si ce n'est pas vous qui en attendez trop, pensez-vous que ce sont peut-être les autres artistes qui n'en attendent pas assez ? Avec l'émergence de la dance, on entend surtout des titres urbains sur la fête, les soirées en boîte, s'amuser, tout ça... Ce sont des titres un peu vides. Ces artistes-là sont-ils un peu fainéants ?
Je trouve qu'il a de la fainéantise partout dans le métier ces temps-ci. Qu'il s'agisse des artistes ou même des maisons de disques. Je me souviens d'une époque où un label dépensait de l'argent et du temps pour développer un artiste avant de le lancer sur le marché. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui ! Aujourd'hui, on l'envoie au front et si ça ne marche pas, on passe à quelqu'un d'autre ! On dépense le moins possible pour se faire le plus d'argent possible. C'est ça, le concept des labels, aujourd'hui. Du coup, je trouve que la musique en souffre, que les fans en souffrent. La médiocrité devient la norme et la musique dans son ensemble est moins bonne à cause de ça. Je reviens sur l'autotune d'ailleurs. Pourquoi passer du temps à essayer d'apprendre à chanter et à se perfectionner quand il y a l'autotune ? Les artistes ne travaillent plus autant qu'avant pour que la musique soit la meilleure possible, personne ne fait l'effort. Même en radio. Je me souviens d'une époque où les fans avaient une vraie influence sur ce qui passait en radio, mais aujourd'hui, c'est le contraire. Si une chanson ne correspond pas au format de la station, elle ne passera pas. J'ai beaucoup de critiques à l'égard de l'industrie, et j'ai la chance d'être en position d'essayer de faire changer les choses. Même si je suis tout seul.

En tant que patron, il faut que le label gagne de l'argent
Vous travaillez en label aujourd'hui, vous êtes au développement d'artistes chez Motown !
Oui, je viens d'avoir le poste et j'apprends petit à petit ce que c'est que d'être un dirigeant. Ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais, mais c'est normal, je voyais ça du point de vue de l'artiste. L'idée de prendre quelque chose d'aussi émotionnel que la musique et l'analyser de façon pragmatique, ça n'avait pas de sens pour moi. Aujourd'hui, je comprends. En tant que patron, il faut que le label gagne de l'argent. Donc on ne peut pas uniquement se fier à son propre sentiment. Il faut voir si l'artiste ou le titre est marketable, il faut prendre en compte les radios qui jouent des titres uptempo et celles qui passent des titres plus R&B, ou pop. Ce sont des choses auxquelles un artiste ne pense pas. On ne se dit pas "Tiens, je vais en studio pour enregistrer une chanson uptempo !". On va simplement enregistrer une chanson ! Donc ce sont deux casquettes différentes. J'apprends.

Ca a changé votre façon de travailler en tant qu'artiste ? Ca a eu un effet sur ce nouvel album ?
J'essaie que ça ne m'influence pas. Si je vais en studio avec ma casquette de dirigeant de label, je pense que ça aura un impact négatif sur ma musique. Si j'ai envie de faire un titre R&B, je ne veux pas me dire "Non, tu ne peux pas en faire parce que sinon ça ne passera pas sur telle ou telle station"... Ce serait aller à l'encontre de mon instinct et ça ne marche pas. Je n'ai jamais su travailler comme ça.

On se retrouve avec de la musique de micro-ondes, superficielle et un peu pourrie
Ca fait quatre ans maintenant que la dance a envahi la musique urbaine. C'est une longue période en musique aujourd'hui. Vous pensez qu'on va bientôt passer à autre chose ? Est-ce que le R&B old school va revenir ?
Je prie pour que ce soit le cas ! Pour que le R&B fonctionne, il faut qu'il soit vrai. Ce qui n'est pas le cas de la plupart des titres pop ou dance. Pas besoin de mettre son âme là-dedans. C'est ce que je trouve fascinant dans la dance, d'ailleurs. Il y a des titres dance avec juste quatre mots en guise de paroles, mais ça n'a aucune importance, parce que la question n'est pas les paroles, mais le sentiment que crée la musique en toi. Tu assistes à un show de David Guetta ou de Calvin Harris, tu te moques des paroles. Ce qui compte, ce sont les montées en puissance, les moments plus calmes avant l'explosion, tout ce côté théâtral. Ce que j'ai voulu faire, moi, c'était associer une musique qui crée ce genre de sentiment avec des paroles qui ont un vrai sens. Mais tout le monde ne fonctionne pas comme ça. C'est comme ça qu'on se retrouve avec des titres superficiels un peu pourris et ça devient une tendance. Pour moi, c'est un peu de la musique de micro-ondes, ce n'est pas un vrai repas. Ca fonctionne sur l'instant, mais il n'y a aucune profondeur. Je pense que quelque chose va succéder à la dance, mais ceux qui font de la bonne dance continueront d'en faire. Ca ne mourra jamais. La dance, c'est universel.

Vous écrivez aussi pour d'autres artistes, notamment des femmes. Vous avez signé d'énormes hits pour Beyoncé ou Rihanna, par exemple. Vous écrivez différemment quand vous écrivez pour une femme ?
Pas vraiment, non. J'écris beaucoup de chansons d'amour : ce qu'il a de bon, de mauvais, et d'atroce. Et au final, la façon de penser d'un homme et d'une femme à ce sujet n'est pas très différente. Ce n'est pas la cause qui change, on réagit juste différemment. Je prends toujours l'exemple de "Irreplaceable" de Beyoncé. Si toi, en tant qu'homme, tu découvres que la femme avec qui tu sors, dont tu t'occupes, que tu gâtes, qui vit dans la maison que tu paies... Si tu découvres qu'elle utilise tout ce que lui paies pour s'occuper de quelqu'un d'autre, je pense qu'il serait assez réaliste de s'attendre à ce que tu lui dises "A gauche, à gauche, tout ce qui est à toi est dans cette boîte, à gauche dans l'armoire, ne touche pas au reste, ça, c'est à moi". Ca aurait du sens, non ? Pour un homme ou une femme. Mais si un homme chante ces paroles, ce n'est pas reçu de la même façon par le public.

Je savais qu'on allait s'en prendre au Noir qui est pouvoir !
On peut faire dire beaucoup plus de choses à une femme...
Voilà, absolument. Une femme qui chante ça, c'est qu'elle prend le pouvoir, elle s'émancipe. Si un homme chante ça, c'est misogyne et un peu méchant. Même si le contexte est le même et que la réaction est justifiée. C'est le cas de tous les titres que j'ai écrits pour des femmes : prends les paroles, imagine qu'un homme les chante et ça fonctionne toujours.

L'album est sorti mardi, jour de l'élection présidentielle. C'était intentionnel ?
Oui. Je me suis dit que ce serait un jour où les gens auraient deux choses très importantes à faire : aller voter pour le président des Etats-Unis, et aller acheter mon disque sur la route du retour !

On a entendu des choses assez choquantes sortir de la bouche des républicains pendant cette campagne, sur les droits des femmes, notamment. Vous qui écrivez pour elle, quelle a été votre réaction ?
(Rires) No comment ! Je n'ai pas envie de dire quelque chose que je pourrais regretter plus tard. Mais je peux juste dire une chose : je soutiens Obama, à 100%. Il a fait l'objet d'énormément de critiques parce que les choses n'ont pas été réglées assez vite. Je me doutais que ça allait arriver, qu'on allait s'en prend au Noir qui est au pouvoir. Je savais aussi qu'ils allaient le critiquer parce qu'il n'aurait pas réussi en quatre ans à régler un problème qui s'est aggravé pendant huit ans. Bush a mis huit ans pour nous mettre dans la merde, ce n'est pas normal de ne laisser que quatre ans à Obama pour tout réparer.
Toute l'actualité de Ne Yo sur www.neyothegentleman.com et sa page Facebook.
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