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lundi 05 mars 2012 8:00

Anaïs en interview : "Je cherche à me surprendre avant de surprendre le public"

Avec un peu d'huile de coude et des détergents, Anaïs a décapé les chansons de son enfance, des standards du music-hall des années 30 à 60. En résulte un nouvel album intitulé "A l'eau de javel". Un disque dans lequel l'artiste s'est pleinement investie puisqu'elle en est la réalisatrice. Rencontre avec l'une des chanteuses françaises les plus déjantées. Provoc et pas de quartier !
Crédits photo : Denis Rouvre
En écoutant ce nouvel album, je me suis demandé quelle pouvait être sa finalité. Je me suis beaucoup amusé en tout cas. "A l'eau de javel", c'est un album-divertissement ? (Jonathan Hamard, journaliste)
Anaïs : En premier lieu, oui. J'ai ce côté music-hall très français. J'avais envie qu'on se laisse emporter, tout en s'amusant. Je voulais surtout montrer que l'on savait davantage s'amuser avant.
J'ai eu besoin de rendre hommage à mes idoles.


On ne sait plus s'amuser de nos jours ?
Je trouve qu'ils riaient plus de tout. C'est ce qui m'a intéressé dans ce projet. A savoir la finesse des textes. Je les trouve plus pertinents que certains textes d'aujourd'hui.

Un projet de reprises, est-ce que ce n'est pas un peu commun aujourd'hui ?
Tout dépend de quel projet on parle. C'est sûr qu'en arrivant avec ça, on donne le bâton pour se faire battre. En ce qui me concerne, je n'ai pas repris des titres tellement communs. J'ai voulu montrer l'aspect contemporain de ces titres relativement peu connus. On peut les écouter sans savoir que ce sont des reprises. C'est ça qui est intéressant. A part "Mon dieu" d'Edith Piaf, on ne peut pas dire qu'on retrouve beaucoup de chansons connues. D'autant plus que ce n'est pas la plus célèbre d'Edith Piaf. C'est un projet qui traine en moi depuis un long moment déjà. Dans "The Cheap Show", on retrouvait déjà ce personnage de cantatrice folle au piano. Ça avait besoin de venir à maturité. Et puis j'ai eu besoin de rendre hommage à mes idoles. C'était aussi en quelque sorte arriver à boucler un tour de piste. Je suis très marquée par cette écriture. J'avais envie d'y aller une bonne fois pour toute.

C'est une finalité aussi peut-être parce qu'on a déjà entendu ces reprises-là sur scène, pour partie.
Dans le contexte où j'étais la marraine des vendanges de Montmartre. Et c'est là que ça prend tout son sens parce que la première marraine c'était Mistinguett. Donc il y avait tout ce côté cabaret. C'était juste tellement cohérant.

C'était une impulsion pour ce projet ?
Pas vraiment puisque j'étais déjà en train de préparer cet album. Ce projet a mis beaucoup de temps. Tout s'est fait en deux temps. Je l'ai réalisé par moi-même et puis il y a eu des changements au sein de la maison de disques. J'ai eu beaucoup de chance parce que ce projet parlait à mon équipe. J'avoue qu'ils ont eu un peu peur quand je parlais de morceaux pas connus. Et puis quand ils ont entendu les morceaux, ils m'ont fait confiance car ils ont constaté que ça me ressemblait. "L'anisette", c'est une chanson toxique comme on dit. Je me suis amusée dessus. J'adore !

Cet hommage est aussi un retour aux sources pour toi. Ce sont des chansons que tu écoutes depuis que tu es toute petite. On n'imagine pas qu'un jour on reprendra ces chansons pour en faire un album lorsqu'on est ado...
C'est aussi l'envie de partager ces mélodies et ces textes que je trouve corrosifs. Il y a un vent de liberté dans certaines de ces chansons que je trouve agréable. Ils n'avaient peur de rien quand même !

Pas besoin d'aller chercher dans les années 50 pour retrouver la provocation dans la musique !
On ne voit pas les radios passer grand-chose. La provoc, à part Didier Super… On pourrait être plus quand même !

Le côté provoc, que je qualifierais plutôt de piquant, ça te connait. La pochette de "The Love Album" n'était pas passée inaperçue…
Comme quoi on n'est pas si libre que ça puisque pour moi cette pochette m'avait totalement échappée. Je ne m'attendais pas à ce que cette pochette fasse autant parler. Ça veut simplement dire qu'on n'est pas vraiment libre. Sur cet album "A l'eau de javel", on retrouve aussi ce côté piquant comme tu dis. On le retrouve sur "Le tango stupéfiant". C'est un chef d'œuvre dans l'écriture fantaisiste. Le texte sur cette femme qui se fait plaquer, qui n'a plus de sous et qui prend n'importe quoi dans ce qui lui tombe sous la main… Fallait la faire celle-là (rires).

Je m'avoue plein de lacunes.
Je suppose qu'il a fallu faire un choix dans les reprises que tu as décidé d'intégrer au tracklisting de cet album. Comment as-tu procédé pour écarter certains morceaux plutôt que d'autres ?
Je l'ai fait au feeling. J'ai dû en abandonner certains qui étaient très intéressants au niveau du texte. Mais musicalement, il y avait moins matière à travailler dessus, m'amuser si je puis dire. il fallait que j'ai une idée de transformation dessus.

Après le choix des titres, venait la phase de réalisation. C'est la première fois que tu produis l'un des tes albums. Comment évolue-t-on en tant qu'artiste lorsque l'on enfile une nouvelle casquette comme celle-là ?
Je m'avoue plein de lacunes. J'ai pris des paris. Je me suis entourée de musiciens pas du tout connus de ma maison de disques et que moi j'aimais. Nicolas Kant, c'est un pianiste de fou qui part en techno. Mon frère est batteur. Il me connait par cœur. Il a travaillé dessus. Mon bassiste n'est pas un bassiste de studio. C'est quelqu'un de très frais. Toute cette équipe est faite de gens très frais. J'avais envie de musiciens frais. Je me suis régalée avec eux.

Regardez le clip "Danseuse privée" d'Anaïs :
Le player Dailymotion est en train de se charger...


En partant du point de départ de ce projet, es-tu arrivée à quelque chose de très ressemblant à ce que tu imaginais dans ta tête ou au contraire à un résultat très différent ?
J'ai fait ce que je voulais. C'est-à-dire que j'adore quand ça m'échappe un peu. Au tout départ, il y avait des instruments plus basiques. Je trouve que j'ai bien réussi à électriser tout ça. Je voulais vraiment que ça sonne comme un album contemporain, que ça se joue en live. J'aime l'électro aussi et je voulais retrouver cet aspect-là sur le disque. Il y a beaucoup de prises en live, enregistrées en studio en cabine séparée. Il y a beaucoup de voix témoins qui sont restées pour garder cette fraicheur. Je sais que ça faisait aussi beaucoup à l'époque. Et c'est aussi un hommage de le faire. Ça donne du corps ! J'ai associé le fond et la forme pour "A l'eau de javel" !

Il y a tout un langage précis et féminin autour de cet album. On parle de "décaper", de "javel". A contrario, on te voit sous le jour d'un homme sur la pochette de l'album. Il y a comme une opposition entre les deux. Elle passe aussi par l'image la provocation ?
En fait, la photo que tu peux voir sur la pochette de mon album, c'est un hommage à une certaine forme de music-hall. Je ne voulais pas d'une imagerie trop préfabriquée comme on voit beaucoup en ce moment. Comme par exemple pour "Cabaret" où il suffit de mettre un chapeau melon et des bas-résilles. Là je voulais vraiment qu'on sente un vrai univers. J'ai essayé de trouver avec le styliste des vêtements d'époque pour me plonger vraiment dedans. Et puis il y a ce côté meneuse de revue. On l'avait déjà dans "The Cheap Show". Je rends hommage à Mistinguett qui était une grande meneuse de revue.

J'ai associé le fond et la forme pour cet album.
Et ton nœud papillon, pourquoi l'avoir réajusté plutôt que de le laisser pendre de travers ?
Je le réajuste, ça gratte ! J'aime bien quand c'est vivant. J'ai toujours privilégié des photos de mouvement. Pour cet album, je n'avais pas envie d'être sérieuse. J'avais envie de faire le pitre.

Ce côté vivant, que je qualifierais aussi de spontanée, est-il calculé ou naturel ? J'entends par là de passer du coq à l'âne sur un même morceau, ces effets de voix complètement fous et même inattendus, sont-ils travaillés ou arrivent-ils selon le fruit de ton imagination ?
C'est un travail de garder la fraîcheur. L'une des choses que je recherche le plus, c'est de me surprendre avant de surprendre le public. Même dans l'écriture de mes textes, je me surprends aussi. Pour "Christina" par exemple, je ne connaissais pas non la fin de l'histoire avant de l'avoir écrite (rires).

Ça ne t'as manqué de ne pas avoir écrit pour cet album-là ?
Non, pas vraiment. J'ai repris des textes que je m'estimais incapable d'écrire. "En douce", c'est un chef d'œuvre. "Si j'étais une cigarette", c'est à la base une ballade très jazz. "Ouragan", c'est vraiment charnel. C'est superbe. Je trouve ces chansons vraiment belles, tout simplement. Je trouve aujourd'hui on fait toujours appel aux mêmes auteurs. Il doit bien y avoir des personnes qui ont quelque part une plume acerbe et auxquelles on ne fait pas appel. Je n'ai pas besoin d'être le personnage moteur d'un projet pour y participer et me faire plaisir.

J'aimerais revenir sur l'introduction. Elle présente véritablement le projet. Tu parles du télé-crochet.
Oui. Je fais le lien entre ce qui se passait à l'époque et ce qui se passe aujourd'hui. Avant, il y avait les radio-crochets et beaucoup d'artistes se faisaient découvrir comme ça. Aujourd'hui, on a la "Nouvelle Star". Et puis c'était une manière d'annoncer la suite, d'annoncer que j'allais transformer des morceaux. Je les joue de plusieurs manières différentes. Pour le coup, c'est une vraie introduction. C'est quelque chose qu'on a perdu je trouve.

Aurais-tu pu débarquer toi aussi par le biais d'un télé-crochet ?
Ça ne s'est pas passé comme ça pour moi. J'ai commencé en groupe et puis il y a eu ce projet d'album live. Je ne suis pas contre cette idée. Pourquoi pas. Je ne trouve pas qu'il y ait quelque chose de déshonorant à s'être révélé par un télé-crochet. Il y a de bons artistes qui se sont fait connaître comme ça.

Et être membre du jury ?
Pourquoi pas. Je ne suis absolument contre l'idée. J'aime bien ce côté mise en scène en tout cas. C'est pour cela que j'ai choisi André Manoukian pour l'introduction. Je trouve quand même qu'il a un style. Quand il critiquait un artiste qui venait de passer, ça avait un certain panache.

Quand on écoute le titre "Si j'étais une cigarette", dans sa première version de 1949, et qu'on la compare avec la version 2012 que tu nous proposes, ça n'a plus rien à voir. Etait-ce impératif que les nouvelles versions se détachent totalement des titres originaux ?
Non. Pas forcément. Quand tu écoutes "Je n'embrasse pas les garçons" tu retrouves ce côté un petit peu swing. Rien n'est calculé, tout est spontané. Je n'ai pas cherché à les triturer. On a laissé libre court à nos envies.

Pour en savoir plus, visitez anaisinyourface.com, ou son MySpace officiel.
Ecoutez et/ou téléchargez l'album "A l'eau de javel" d'Anaïs sur Pure Charts.

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