samedi 06 février 2021 16:40
Suzane : "Ecrire des chansons pendant le confinement a été une porte de sortie"
Par
Théau BERTHELOT
| Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Un an après son premier album, Suzane dévoile sa réédition intitulée "Toi Toi II". Via Zoom, la chanteuse se confie à Pure Charts sur ses nouvelles chansons, sa rencontre avec Grand Corps Malade ou son impossibilité de monter sur scène. Rencontre.
Crédits photo : Liswaya
Qui dit nouvelle année dit nouveaux moyens de communication. En raison de la crise sanitaire, c'est désormais via Zoom qu'ont lieu la plupart des interviews. Et Suzane n'échappe pas à la règle ! Il faut dire que 2020 aurait dû être l'année de la chanteuse, Révélation Scène aux dernières Victoires de la Musique. Mais la pandémie en a décidé autrement. En attendant de pouvoir remonter sur scène, Suzane propose donc la réédition de son album, "Toi Toi II", avec cinq inédits dont son duo avec Grand Corps Malade, "Pendant 24 heures". Pendant une demi-heure, Suzane se confie sur , sa nomination aux Victoires de la Musique, ses titres inédits mais aussi sa situation d'artiste freinée par la pandémie mondiale. Propos recueillis par Théau Berthelot. Comment vas-tu en cette période intense ? En ce moment, c'est un peu la course, ça me rappelle les sensations de début 2020 où ça commençait bien, donc j'espère que je ne vais pas revivre le même scénario cette année... Ecrire des chansons, ça me permet de rester positive 2020 a été une année particulière pour tout le monde : quel bilan fais-tu de ces 12 derniers mois ?2020 a été complètement surprenante, une année de montagnes russes. Elle a démarré très fort avec la sortie d'un album qui a été bien accueilli. C'était un moment très intense dans ma vie qui a été un peu freiné quelques semaines après, quand tout le monde a été enfermé à la maison. J'ai gagné les Victoires en révélation scène et je n'ai jamais pu rencontrer mon public, c'était une frustration à gérer. Je me suis dit que j'avais complètement la poisse, que j'étais le chat noir de la chanson française (rires), et je ne pense pas être la seule à m'être dit ça à ce moment-là. Pour tous les artistes, ça a été dur. Ce qui m'a permis de rester positive, c'était d'écrire des chansons. C'était tellement dur de se projeter dans l'avenir qu'écrire des chansons, ça a été une manière d'avoir un peu d'espoir, une porte de sortie en se disant qu'un jour les gens les écouteront peut-être. Malgré tout, il y a eu de sacrés rencontres en 2020 : j'ai rencontré Grand Corps Malade, on a fait ce feat ensemble, on a pu vivre quelques moments sur scène à Taratata. Malheureusement, je n'ai pas pu l'inviter vu que mon Trianon a été reporté trois fois... Il s'est passé plein des belles choses humainement et artistiquement donc c'était plutôt chouette. Regardez le clip de "L'appart vide" par Suzane : Le karma me soutient, le public est là Tu commences l'année 2021 avec une bonne nouvelle : tu es nommée aux Victoires de la Musique en tant qu'Artiste féminine !Je t'avoue que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu une nouvelle qui me mette autant en émoi. Le jour où on m'a appelé pour me le dire, j'étais hyper contente. J'étais déjà heureuse d'être dans les neuf [en présélection] parce qu'il y a des belles nanas dans le paysage musical français et d'être dans les trois, aux côtés d'Aya et de Pomme, c'est cool. Je me dis que le karma me soutient et que le public est là. C'est quand même un encouragement pour la suite parce qu'on sait tous que notre génération d'artistes va être marquée par cette pandémie. Sortir son album alors que l'industrie de la musique se casse la gueule à cause de ça, c'est vraiment pas fun. C'est une manière de nous encourager et c'est cool parce que ça nous a donné beaucoup de force. Se dire aussi que je vais jouer sur le plateau des Victoires, peu importe l'issue, gagnante ou pas gagnante, je pense que je suis déjà gagnante de pouvoir encore m'exprimer alors que c'est très difficile en ce moment. Le fait d'avoir eu le prix de la "Révélation scène" l'année où il n'y a pas eu de concerts, c'est quelque chose de spécial j'imagine... C'est particulier de gagner ce prix-là à ce moment. Je me rappelle d'avoir croisé Clara Luciani dans une loge qui m'a dit que ça avait été un coup de fouet dans sa carrière, que ça lui avait donné une vraie visibilité. Les gens te disent qu'il y a un vrai "step" avec la Révélation scène : c'est de rencontrer son public. J'avais une énorme tournée de prévue donc c'est très frustrant, sachant que je suis justement arrivée par la scène. C'est un peu le début de l'histoire que je ne peux pas continuer. Mais j'ai été vraiment chanceuse cette année, car il m'est arrivée plein de belles choses. A part la scène parce que c'est dur, car c'était mon mode de vie depuis deux ans le concert, le trac, la vie sur la route. Pour moi, ça a été un choc de passer de "Je suis dans deux villes en deux journées" à "Je suis enfermée chez moi, je ne vois personne, je n'ai plus ces applaudissements dans mes oreilles". J'ai l'impression d'avoir fait une désintoxe et qu'on va bientôt avoir des réunions artistes sans concerts (rires). Après "SLT" l'an dernier, qu'est-ce qu'on peut attendre de ta prestation aux Victoires cette année ? Je pense que j'ai envie d'être en phase avec moi-même, de monter de nouvelles facettes. J'ai envie que cette prestation soit belle, dans le détail et qu'on arrive à voyager et à faire entrer les téléspectateurs dans mon univers. Ecoutez "La Vie Dolce" de Suzane et Feder : Cette réédition, c'est une manière de me projeter dans l'avenir Tu sors ce vendredi la réédition de "Toï Toï" : comment elle est née ?Elle est née durant le premier confinement. C'était important pour moi de continuer et d'avoir l'envie d'écrire des chansons. C'était une manière pour moi de me projeter dans l'avenir. Ces cinq titres sont nés chacun à leur manière. "La vie dolce", je l'ai écrite après le confinement quand j'ai revu ma famille et mes amis en rentrant sur Avignon. J'ai ressenti un brin de nostalgie. "L'appart vide" était déjà un peu de ma tête et elle s'est dessinée pendant le confinement. Je voulais ouvrir une facette plus intime, écrire en "je"... J'aime beaucoup cette chanson qui a eu un bel acceuil... "Pendant 24 heures" avec Grand Corps Malade, ça a été une vraie collab artistique et humaine. "Le monde d'après", le titre est très clair. Je me demandais si on allait rester solidaires après tout ça ou qu'on allait continuer à abimer. Et enfin "Riche et beaux", encore une fois, j'aime regarder les personnages qui m'entourent et j'ai voulu décrire cette pression sociale qu'on peut avoir dès le plus jeune âge de réussir sa vie financièrement, matériellement... Je décris ce mec-là. En France, quand on se rencontre, on se dit "Ça va ?" et deux secondes après on te demandes "Qu-est-ce que tu fais dans la vie ?". C'est très vite assimilé à "Combien tu gagnes ?". C'est quelque chose qui peut pourrir des vocations et je trouve que notre société nous dicte notre manière de classifier les gens par leur apparence ou leur portefeuille. Tu as été l'une des premières à annoncer le report de ton disque. Pourquoi ne pas avoir maintenu sa sortie, comme ont pu le faire Vianney, Ben Mazué ou Aya Nakamura ? Tous les artistes que tu as cités n'en sont pas à leur premier album. Et je pense qu'un premier album, c'est précieux. Il s'appelle "Toï Toï", qui veut dire "bonne chance", c'est assez fou de sortir un album en 2020 qui s'appelle comme ça. Je ne sais pas s'il en a eu de la chance, mais c'est comme ça et ça fait partie de mon histoire et de la sienne. Avec cette réédition, je voulais lui donner une prolongation, vu que sa vie a été un peu abimée par tout ça. C'était important de sortir mon album à un moment où les disquaires ne sont pas tous fermés parce que j'ai l'impression de revivre ce truc-là de gagner une Victoire de la Musique de Révélation Scène et de ne pas pouvoir monter sur scène. J'ai essayé de mettre un peu de chance de mon côté. J'ai été obligée d'adapter mes choix pour le bien de mes chansons que j'ai mis du temps à écrire. Cet album je l'aime donc j'ai envie de lui donner sa chance. Grand Corps Malade, c'est un artiste bienveillant Le duo avec Grand Corps Malade a été très bien accueilli. C'était important pour toi d'être "validée" par un artiste comme lui et de bénéficier d'une aussi belle exposition ?Je pense que c'est d'abord le côté humain qui est important. J'ai pu le rencontrer, sa femme et ses deux enfants aussi, on a échangé de vraies choses ensemble. Cette collaboration s'est faite très naturellement, ce n'était pas du tout un truc arrangé, ça s'est fait petit à petit. Il m'a découvert parce que tout le monde autour de lui lui parlait de moi. On a échangé puis on s'est vus le 6 mars lors des Francofolies de la Réunion, c'était un de nos derniers concerts avant d'être confinés. Ça a été un vrai échange et à partir de là, toutes les promos se sont très bien passées. C'est un grand artiste, quelqu'un de bienveillant et je le respecte énormément. J'avais le trac d'écrire à côté de Grand Corps Malade, mais à voir les réactions, je trouve ça vraiment chouette. Ton duo avec Feder semble logique au vu de ton univers électro. Comme s'est déroulée cette collaboration ? Il y a une vraie histoire derrière : Feder m'a invité à faire sa première partie à l'Olympia et c'était mon deuxième concert. Je sais pas si c'était prémonitoire, mais c'était une première entrée dans l'arène qui a été très impressionnante pour moi et ça c'est très bien passé. Feder a été très accueillant, il y avait tout ce truc de bienveillance. J'ai su par la suite qu'il avait beaucoup aimé ma prestation. Vu que lui aussi vient du Sud, on avait envie d'un hymne plus solaire, un peu cool, pour se rappeler d'où on vient, c'était marrant... Cette année, normalement, ce sera mon nom à l'Olympia et ce sera à mon tour de l'inviter pour jouer cette chanson ! Cet album je l'aime, j'ai envie de lui donner sa chance Il y a un an, nous avions parlé de "Il est où le SAV ?". Depuis de nombreux artistes ont pris la parole sur le sujet comme Julien Doré, Christophe Maé ou Massive Attack. Tu trouves ça bien que les choses bougent enfin dans le monde de la musique ?C'est naturel aujourd'hui que le monde de la musique prenne un virage. On le voit aussi dans la mode, il y a des industries qui polluent. C'est notre manière de faire mais c'est un système qu'il faut changer. Quand je vois que sur un album, je suis obligé de mettre du plastique et qu'on peut pas forcément faire des choses écologiques parce que ça coûte beaucoup plus cher, le système nous empêche d'être éco-friendly. Mais c'est cool que des groupes aussi gros que Coldplay et Massive Attack commencent à prendre la parole là-dessus, à faire des tournées plus écolos. Bon, moi ça va parce que je prends le train en général, mais le jour où je ne pourrais plus le prendre, ce sera une vraie question. Même quand on part à l'étranger, tu culpabilises un peu. C'est trop cool pour ma carrière que ma musique m'emmène ailleurs et que je découvre d'autres cultures, mais tu prends un avion et tu sais que ce n'est pas très éthique. Il y a de vraies questions à se poser et c'est bien d'en entendre parler dans la pop, qu'il y ait un vrai fond sur cette thématique. La pop ça porte bien son nom, c'est pour le peuple, donc les gens peuvent être intéressés d'entendre parler de ce qui les intéresse dans la vie. Ecoutez "Le monde d'après" de Suzane : J'ai l'impression de vivre dans un épisode de "Black Mirror" Qu'est-ce que tu attends de 2021 et de ce "Monde d'après", comme tu le chantes ?J'ai tellement l'impression de vivre dans un épisode de "Black Mirror", comme je le chante dans la chanson, c'est un peu dur d'en sortir. Mais pour s'en sortir, il faudra beaucoup de solidarité, peut-être des révoltes aussi. Quand je dis "Sortez du coma", c'est une façon de se demander quand va-t-on récupérer nos vies. Peut-être qu'on va essayer de faire mieux après. Quand je vois ce qui se passe dehors, l'homophobie, les violences policières, la racisme, je me dis qu'on vit sur une terre en train de se détruire et on est tous en train de s'entretuer au lieu d'être ensemble. Je pense qu'on veut tous être ensemble mais on n'entend que ceux qui ne veulent pas se tenir la main. J'espère que 2021 sera une année plus douce, plus solidaire. Tu as de nombreux concerts prévus cette année dont un Trianon et un Olympia : tu es confiante sur leur tenue ? Tant qu'Emmanuel Macron et Roselyne Bachelot n'auront pas pris la parole pour nous dire si on peut jouer ou non, je ne sais plus si je suis confiante. A chaque fois j'espère, mais j'ai beau espérer beaucoup et à chaque fois je suis déçu. L'Olympia qui m'attend, j'en rêve depuis mes sept ans. Je suis dans le flou. Est-ce que ça va se faire ou pas ? Est-ce que les gens devront passer un test PCR avant le concert ? Est-ce qu'ils auront des masques ? Est-ce qu'au moins ça va être maintenu et je vais avoir un peu l'impression de faire de la résistance, un peu comme cet automne où j'ai pu faire quelques concerts en jauge réduite, public masqué et annonce de "coronavirus". Moi je me suis donnée, la combi était trempée. Je suis passée d'une "foule de plus en plus grandissante" à une foule masquée. C'était très dur mais j'étais là et j'espère qu'au moins, on pourra le faire et qu'on ne sera pas privés totalement de concerts. L'Olympia, j'en rêve depuis mes sept ans Que penses-tu du flou autour de la reprise des concerts ?Ça ressemble au flou qu'on vit tous. On parle de vaccin mais j'ai l'impression qu'il n'y a que trois personnes qui ont été vaccinées en France. Même les tests PCR au début, on ne savait pas. Et puis ça fait un an... Je vois à la télé Jean Castex dire que le virus a grimpé, mais on n'est toujours pas au courant du pourquoi de la propagation. J'ai l'impression qu'on est désinformés ou mal informés. On vit dans un monde totalement flou, donc la situation des concerts c'est encore plus le flou. J'ai aussi l'impression que les gens se disent que les artistes sont la dernière chaîne du maillon. C'est essentiel d'avoir tout ça mais les gens ont peur et la peur les fait oublier qu'ils ont besoin de se divertir, de changer d'air. Il y a plein de gens qui souffrent mais je pense qu'il faut arrêter de comparer les gens selon ce qu'ils font. Tout le monde souffre, du restaurateur à l'artiste qui vient de se lancer, et même celui qui voulait faire une tournée des Zénith... Mais on va s'en sortir ! Je suis un peu brutale mais j'ai toujours un peu d'espoir. Tu travailles déjà sur ton deuxième album ? J'ai déjà fait cette réédition, j'aimerais qu'elle sorte dans un bon contexte... Je pense que l'album 2 est déjà un peu dans ma tête, il est en train de se former. Mais quand je dis qu'en ce moment j'ai besoin d'écrire des chansons, c'est assez vital. J'ai besoin d'avoir une chanson dans la tête, d'être un peu remuée par ça, de dire ce que j'ai envie de dire... L'inconfort m'inspire pas mal donc vu qu'on est plein dedans ! Podcast
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