dimanche 04 février 2024 16:32
Qui est Rounhaa, le nouveau virtuose du rap français signé sur le label de Disiz ?
Par
Guillaume NARDUZZI
| Journaliste
Au sein d'une scène rap français qui ne cesse de se renouveler, Rounhaa s'est rapidement imposé parmi les nouvelles têtes les plus prometteuses. Au point d'attirer l'attention de Disiz, qui n'a pas tardé à le signer sur son label Sublime. Aujourd'hui, le jeune franco-suisse est de retour avec "Jaafar", un nouveau projet aux sonorités radicales qui démontre toute son ambition artistique.
Crédits photo : Cover
La musique est un perpétuel renouvellement et tout n'est parfois qu'une question de timing : arriver avec la bonne proposition ne suffit pas, il faut également avoir le don de l'offrir au bon moment au public. Un rappeur comme Joke, devenu depuis Ateyaba, précurseur à souhait ayant influencé tout un bon pan du rap français dans les années 2010 sans jamais bénéficier du plébiscite populaire qu'il aurait mérité, en est peut-être l'un des meilleurs exemples. Et c'est justement tout l'enjeu de la carrière de Rounhaa, rappeur franco-suisse ô combien prometteur qui a passé sa jeunesse entre Lille et Genève. Le player Dailymotion est en train de se charger...
S'il avait démontré son immense potentiel de manière précoce sur les disques "Yeratik" (2019) et "Horion" (2020), il a commencé à véritablement le mettre à profit sur l'impressionnant "Möbius" (2022), qui introduisait alors des nuances d'hyperpop particulièrement convoitées par les auditeurs. Un projet qui l'a propulsé parmi les rappeurs les plus en vues de la nouvelle génération de la scène francophone (comme Houdi notamment), et dont la plupart des membres sont issus de la véritable école qu'a été la plateforme SoundCloud. Il faut dire qu'entre temps, il a franchi une étape importante. Tête d'affiche de la nouvelle génération du rap francophoneRepéré par un certain Disiz, qui, loin de se contenter du succès critique et commercial de son album "L'Amour" paru quelques semaines plus tôt, désire prendre pleinement part à cette aventure musicale exaltante, Rounhaa signe sur son label Sublime. Un destin similaire à celui de Luther, autre tête d'affiche incontournable de cette nouvelle génération intrigante avec des oeuvres singulières s'égarant des sentiers battus, qui s'est associé à cette structure artistiquement ambitieuse créée au début de l'année 2022. Avec ce disque, le jeune rappeur bénéficie d'un grand succès d'estime de la part de la presse spécialisé mais aussi des auditeurs les plus érudits. Il faut dire que plusieurs titres bouillonnants interpellent, autant de part leurs compositions que leurs références éclectiques : "Music sounds better with you", hommage au hit french touch inoubliable de Stardust, "Mr. & Mrs. Smith", écho au film d'action américain du même nom avec Brad Pitt en Angelina Jolie, ou bien "Wish I was special", tout droit tiré de la chanson culte "Creep" de Radiohead. Autant de détails, tous minutieusement choisis dans une direction artistique léchée, qui attirent l'attention et la curiosité sur l'univers de Haarone Latif, son nom à l'état civil. En attestent notamment les chiffres, certes encore modestes, mais qui traduisent un véritable engouement : toutes les pistes du projet dépassent le million d'écoutes sur Spotify, avec un pic à 5,5 millions pour le premier morceau cité ci-dessus et plus de 4,2 millions pour l'émouvant "Ice". Une lueur d'espoir au milieu d'un ciel ombragéDeux ans plus tard, le voilà de retour avec un nouveau projet baptisé "Jaafar", regroupant onze inédits pour une demi-heure d'écoute particulièrement captivante. Désireux de poursuivre sa magnifique éclosion, l'artiste propose une esthétique toujours aussi pointue et exigeante, tout en continuant à exploiter des sonorités électroniques de plus en plus palpables, presque omniprésentes, qui ne sont pas sans rappeler l'univers numérique de Laylow développé sur l'effort "Trinity" (2020), référence en la matière. En témoigne notamment le surprenant et grandiose single clippé "Love Death Robots", que l'on imagine être une référence à la série d'anthologie éponyme de Netflix. Si une ambiance froide se dégage de cette musique éthérée, bien que prête à exploser à n'importe quel moment - comme le prouve "2B2T", celle-ci explore avec récurrence des thèmes universels comme l'amour, la trahison, le rapport à la famille ou la mort. Ce projet, chapeauté par les producteurs attitrés du label sur sont LUCASV et amne, se révèle également être son plus personnel dans l'écriture. Sur "Yasmeen", morceau dédié à sa femme, il rappe : « En fait c'est toi qui mérites tout l'amour que je reçois / Je t'ai expliqué un genou à terre, tu m'as donné le doigt / Tu m'as juste donné le doigt / Dis-moi, est-ce que j'ai le droit de ne plus te demander : "On est quoi ?" / Maintenant c'est juste toi et moi, toi et moi ». Une évolution qui lui permet d'élever encore un peu plus son propos et ainsi de s'offrir une nouvelle dimension, avec plus d'épaisseur. Rarement optimiste, Rounhaa raconte le déchirement et la mélancolie comme peu d'autres, tant il se perfectionne dans ce registre au fil des expériences. « Sur Spotify, c'est le concours du plus triste », résume-t-il dans l'introduction "Le frère de Moïse". Une tendance actuelle prégnante pour laquelle il n'y est pas pour rien, d'autant plus que le rappeur est loin de se classer dernier en la matière. Et ce malgré une ultime note d'espoir sur l'outro "Gris Tanger", dans laquelle il se confie comme rarement sur son enfance. « Ma jeunesse dans l'étreinte, dans les bus, dans les trains / T'as cru que j'étais un gosse mais j'ai dû grandir avant d'en être un / Ma jeunesse dans la haine, dans les peurs, dans les craintes », chante-t-il, avant de conclure : « J'ai appris plein de choses, la vie s'ouvre en cri / C'est pas blanc, c'est pas noir, c'est très souvent gris ». Reste maintenant à voir si le grand public est actuellement prêt pour s'emparer à son juste titre de ce disque au spleen débordant mais scintillant. Tout n'est qu'une question de timing. |