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dimanche 25 juin 2017 14:15
Phoenix en interview pour l'album "Ti Amo" : "C'est un voyage en Italie fantasmée"
Par
Yohann RUELLE
| Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
C'est dans l'antre majestueuse de la Gaité Lyrique à Paris que Pure Charts a rencontré Phoenix à l'occasion de la sortie de son nouvel album "Ti Amo". Une machine à fantasmes qui nous fait voyager en Italie, dont le groupe raconte la genèse.
Crédits photo : Emma Le Doyen / WEA
Quatre ans après "Bankrupt!", vous voici de retour avec "Ti Amo". Ça vous a paru long ? Laurent Brancowitz : Pas du tout ! Pour nous, tout s'est enchaîné. On ne fait jamais de pause. On est venu à la Gaité Lyrique au lendemain du concert qu'on avait fait au Palais des Sports de Paris. Il y a un studio au septième étage et c'est là qu'on a enregistré cet album. On avait installé nos affaires ici avant même la fin de la tournée ! Vous aviez déjà des idées en tête ? Laurent : Non pas vraiment. La seule direction, c'était : nouveau lieu, nouveau départ, nouveau chapitre. Il faut se connecter au cosmos Quel mot définit le mieux votre processus créatif ? La rigueur, la liberté de création ?Christian Mazzalai : Les deux ! On travaille dans un cadre très défini, on vient tous les jours pendant... tous les jours de la semaine, en fait. (Rires) On arrive le matin et on bosse comme des dingues toute la journée. La première phase consiste à faire n'importe quoi. A se connecter au cosmos ! Le lieu est très important pour nous. Ici, il y avait une énergie un peu différente d'un studio traditionnel. Il n'y a rien de pire que d'être dans des murs froids, ça nous déprime. A la Gaité Lyrique, on était assez heureux. L'album a été enregistré à Paris et pourtant, son fil rouge est l'Italie. D'où vous vient ce fantasme ? Laurent : Ça nous est venu comme ça, on n'a pas vraiment contrôlé. Je pense qu'il y a des raisons psychanalytiques assez simples : nos deux pères sont italiens ! On y a passé énormément de temps durant notre vie. Et on s'est beaucoup abreuvé de musiques italiennes ces derniers mois. Mais il n'y avait pas de démarche consciente. Thomas, c'est le saint-Esprit qui lui insufflait des mots dans la langue de Dante. C'est un paradis perdu Vous faites voyager l'auditeur à travers une vision très idéalisée de l'Italie. Jusque dans le titre de l'album : "Ti Amo". C'est presque naïf...Laurent : A fond ! Naïf et innocent. Comme un paradis perdu, où tout serait simple. C'est notre Italie fantasmée. On sait bien que si on avait fait notre album là-bas, à Rome par exemple, on aurait parlé de la France. Il fallait que ça soit une fantaisie. Comme dans la "Dolce Vita" de Fellini : il habitait à quelques mètres des lieux, à Via Margutta, mais il a quand même tourné son film dans des studios. Même lui qui était au coeur de l'action, il avait besoin de la distance de la magie du cinéma pour pouvoir rêver. Nous, on avait les Alpes ! C'est le cinéma qui alimente cette machine à fantasmes ? Laurent : Ça et nos propres souvenirs d'enfance. Nos étés, les journées interminables... Puis la musique. On se rendait bien compte qu'on faisait un truc à la "Week-end à Rome" d'Etienne Daho. Son clip avait été tourné à la station de métro Rome... Tout cet album c'est ça : un album qui parle de l'Italie depuis la place de l'Italie. (Sourire) Il ne fallait surtout pas qu'on y aille. Christian : Mais un jour on ira enregistrer un disque là-bas. C'est sûr. Laurent : Et on fera un disque allemand ! Ecoutez "Goodbye Soleil" de Phoenix : "Ti Amo" comprend dix chansons mais j'imagine que vous avez dû laisser de côté des dizaines et dizaines de morceaux. Comment se déroule la sélection finale ? Christian : C'est un jeu cruel. Pas seulement à la fin : dès qu'on doit retrousser nos manches ! C'est une série de décisions où il faut mettre son affect de côté parce qu'on sait, à un moment donné, qu'il faut que ça devienne "Ti Amo". Laurent : On sentait qu'il y avait des pistes qui ne collaient à l'esprit d'innocence, c'est pourquoi on les a mises à la poubelle. Mais de manière générale, on a un processus de création qui consiste à accumuler beaucoup beaucoup de matière brut. On est habitué à l'écrémage. On sait que toute idée à laquelle on s'attache on peut la perdre, donc il faut adopter une attitude de médecin et ne pas trop s'impliquer émotionnellement. (Rires) Christian : Pour te donner une idée, les archives de "Ti Amo" représentent plus de 4.500 bouts de mélodies... Une réponse inconsciente à l'état du monde Le résultat, c'est un album de chansons solaires, parfois mélancoliques, mais surtout romantiques. Le romantisme exacerbé de l'album est-il une réponse à l'état actuel du monde ?Laurent : Si c'est une réaction, elle est inconsciente. Même si on a compris assez vite qu'il y avait un contraste saisissant entre l'ambiance générale et notre musique très lumineuse. C'est comme un rêve : une production de notre âme pour réparer, panser les plaies peut-être. En toute humilité ! Mais rien n'a été pensé : on bossait 10h par jour et c'est ça qui est ressorti. Avec l'attentat de Manchester, c'est une nouvelle fois la musique qui a été visée. En tant qu'artiste, quel est votre sentiment ? Laurent : On réfléchit en tant qu'humain avant tout. Comme tout le monde. Ça dépasse tellement l'entendement... Ce qu'il y a de troublant, c'est que les symboles sont indéchiffrables. Ce n'est pas comme ci on s'en prenait à des institutions comme l'Etat. Les tours jumelles en 2001, ça symbolisait quelque chose. Mais depuis Charlie-Hebdo, ce n'est plus connecté à une logique. C'est un cauchemar qu'on arrive pas à comprendre. Là en l'occurrence, ce sont des enfants qui vont voir un concert de pop qui ont été touchés. C'est pas une chorale militaire ! Ça n'a aucun sens. Ce qui est peut-être précisément le but... Mais c'est terrifiant. Vous pensez que la musique a un pouvoir de thérapie ? Laurent : Je pense, oui. Pour nous en tant qu'auditeur, on connaît le pouvoir de la musique. Quand on la fait aussi, égoïstement, ce sont des moments où on sort du monde. On ne dit pas qu'on va guérir les gens mais c'est quelque chose qu'on ressent, qu'on soit d'un côté ou de l'autre. Un choix de premier single, ce n'est jamais anodin. Pourquoi "J-Boy" et pas un autre ? Parce qu'il est très identifiable au son Phoenix ? Laurent : Nous, on voulait justement un peu dérouter.. Mais bon, comme d'habitude, on surestime notre puissance de changement. (Rires) Pour nous c'est un morceau qui brise mille tabous, notamment sur le phrasé. On n'avait jamais fait ça avant. Christian : C'est le premier morceau qu'on a enregistré il y a deux ans. Il a ouvert la porte à cet album et à sa direction. En 5 minutes, on avait 95% du titre mais c'est le dernier qu'on a finalisé, comme pour boucler la boucle. C'était la clé. Découvrez le clip "J-Boy" de Phoenix : J'aime beaucoup le clip un peu kitsch, où vous recréez le décor d'une émission italienne très vintage. Est-ce que vous avez des souvenirs d'un plateau télé désastreux ? Christian : Sur notre premier album, on avait eu en Italie un gros succès avec "If I Ever Feel Better". On s'est retrouvé à participer à "Quelli che... il Calcio", une émission sur le foot regardée par le pays tout entier le dimanche après-midi où, au milieu, il y a un groupe qui joue. Un concept follement italien parce qu'ils n'ont pas le droit sur les images. On ne voit jamais les buts. (Rires) Chaque équipe était représentée par un supporter : il y avait une nonne, un mafieux du Sud... La télé Berlusconi dans toute sa splendeur. Et donc on s'est retrouvé au beau milieu de ce foutoir, à faire un playback surréaliste avec de faux plâtres et des minerves... Je ne sais même pas pourquoi, on était un peu con à l'époque. (Rires) On s'en rappellera toute notre vie ! Pour finir, la plus belle des chansons italiennes c'est... ? Christian : "Emozioni" de Luccio Battisti. Enregistrée en une prise. Comment résister à cette chanson ? Extraordinaire.
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