dimanche 28 novembre 2021 12:36
Duran Duran en interview : "Nous avons toujours la même passion qu'il y a 40 ans"
Par
Théau BERTHELOT
| Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Groupe culte des années 80, Duran Duran est de retour avec un nouvel album "Future Past". L'occasion pour Pure Charts de s'entretenir avec le chanteur Simon Le Bon sur ses nouvelles chansons, les 40 ans de la formation ainsi que son point de vue sur le revival 80's. Interview placée sous le signe de la nostalgie.
Crédits photo : BMG
Propos recueillis par Théau Berthelot. Votre nouvel album "Future Past" est sorti il y a quelques semaines : comment vivez-vous son accueil ? Ça se passe plutôt bien ! On savait qu'il y aurait énormément de nouveaux albums qui allaient sortir à peu près au même moment avec les reports à cause du Covid et les gens ont pris l'habitude de vivre avec. Quand on l'a sorti, on a eu beaucoup de visibilité. C'est un bon album, on sait que c'en est un, et les bons albums ont tendance à bien marcher car les gens l'écoutent, en parlent autour d'eux et ça commence petit à petit à faire partie de la vie des gens. C'est ce qui semble être en train de se passer. Ça se passe bien aux Etats-Unis, le single "Anniversary" grimpe toujours dans les charts. C'est vraiment bien... On n'est pas encore parti en tournée, pour des raisons évidentes, mais ce sera un bon test pour savoir si l'album a bien été reçu. On est heureux des chansons, une comme "Give It All Up" peut cartonner en radio. En tout cas, on l'espère ! On est toujours optimistes, il vaut mieux ça que d'être pessimistes. L'album a démarré troisième en Angleterre, j'imagine que c'est toujours une fierté ! Oui, on est vraiment heureux d'être dans le Top 10 ! Je crois que c'est notre meilleur classement depuis un bon moment... Pourquoi on est encore là après 40 ans ? On continue à sortir des disques Il y a toujours une pression à sortir un album après 40 ans de carrière ?Eh bien... Je ne pense pas qu'il y ait de pression par rapport au public, mais pas mal de personnes de l'industrie voulaient qu'on ressorte un album parce que c'est le business, c'est comme ça que ça marche. On vient de signer chez BMG, mais on n'aurait pas signé chez eux si on n'avait pas un nouvel album à sortir, on serait toujours avec Warner. On a fait cet album parce que c'est vraiment une des choses qui vous fait durer en tant que groupe. Les gens ne cessent de me demander pourquoi on est toujours là après 40 ans. Une des raisons, et c'est probablement la plus importante, c'est qu'on continue de sortir des disques. C'est notre amour de la musique, le fait qu'on s'entende si bien tous ensemble. Nous avons l'énergie et les couilles de nous dire "On peut toujours le faire, on peut toujours sortir de superbes chansons". Et c'est quelque chose qui nous excite tous, donc on est vraiment heureux de partir sur les routes et de jouer ces nouvelles chansons en live. C'est l'une des choses les plus importantes qui fait que le groupe soit toujours en vie, c'est la nouvelle musique. Ça ne nous conviendrait pas de ne chanter toujours que les vieux hits des années 80. On deviendrait quoi ? On serait sur un bateau de croisière à faire des concerts "80's" comme Bananarama ou Orchestral Manoeuvres in the Dark. (Sourire) Et ça je n'en veux pas ! Justement, quand vous écrivez de nouvelles chansons, est-ce qu'il y a une pression par rapport à vos tubes ? Une envie de vous surpasser et de toujours faire mieux ? Je ne pense pas qu'on y pense. Quand on écrit de nouvelles chansons, on est vraiment dans l'instant présent, on ne réfléchit pas ou on n'essaie pas de les comparer à ce qu'on a fait auparavant. Cela ne nous arrive pas vraiment, tout ce qu'on essaie de faire, c'est la meilleure musique possible à l'instant T. Une des choses que l'on a tous développé au cours des années 80, c'est un sentiment, une intuition de ce qui marche vraiment. On a toujours le frisson de la musique quand on sent c'est vraiment bon. Quand John [Taylor, le bassiste, ndlr] a commencé à nous jouer la ligne de basse de "Give It All Up" [il la fredonne], on est devenus fous ! J'ai tout de suite voulu chanter dessus ! C'était vraiment une pièce musicale excitante qui est venue juste comme ça et tout a suivi. A ce moment-là, tu ne penses qu'à ça ! L'auto-tune, ça m'agace Le titre "Future Past" est très significatif : c'est du Duran Duran pur jus, mais à la sauce 2021 !Absolument ! C'est la norme que nous nous fixons. Pour que ça sonne comme du Duran Duran, eh bien déjà je dois chanter dessus. J'ai une voix assez distinctive et je ne pense pas que d'autres personnes ont la même voix que moi. Et nous avons certains types de structures musicales, d'harmonies que nous utilisons depuis toutes ces années et que nous aimons. Et c'est l'une des caractéristiques de Duran Duran, cette sorte d'harmonie majeure-mineure. Ce n'est pas vraiment comme du R&B mais plutôt comme Kraftwerk ou Giorgio Moroder, ce mec qui a été capable de fusionner des structures harmoniques toniques avec du groove. C'est ce qui identifie Duran Duran. Mais on n'a jamais pas peur d'essayer de faire fonctionner notre musique avec les technologies ou les sensibilités d'aujourd'hui. La seule chose que j'évite de faire, c'est d'utiliser les effets d'auto-tune. Je n'aime pas le son que ça produit, ça m'agace et ça fait sonner les gens comme des poupées... Ça déshumanise le son ! Et vous savez, je pense que les très bonnes chanteuses comme Adele n'en n'ont pas besoin. Peut-être que Billie Eilish s'en sert mais pas tant que ça, on ne l'entend pas énormément. Je suis sûr qu'il y a des endroits sur l'album où nous avons fait de très belles prises vocales et Josh nous aurait dit "C'est génial mais ça sonne quand même plat" et je lui aurais répondu "Ok, ne me dis pas ce que tu vas faire, fais-le et je l'écouterais". Il le fait et je ne l'entends pas, et si je ne l'entends pas, ça me convient ! Vous parliez de Giorgio Moroder, vous travaillez avec lui ainsi que Mark Ronson sur cet album : ça fait quoi de collaborer avec ces légendes ? On sent qu'on est au bon endroit, que ce sont de bonnes collaborations. Giorgio fait partie de nos vies depuis si longtemps. La première chanson que j'ai chanté lors du tout premier concert de Duran Duran au Rum Runner de Birmingham le 16 juillet 1980, c'était "I Feel Love" [il se met à la chanter]. C'est comme ça qu'on a commencé ! Et depuis, c'est étrange qu'on ait jamais eu l'occasion de travailler avec lui. C'est une chose qu'on s'est dite lorsqu'on s'est vus : Pourquoi ça a pris autant de temps pour collaborer ensemble ? Mais vous savez comment sont les choses... J'adorerais faire un duo avec Dua Lipa Vous faites des duos avec Mike Garson, Ivorian Doll, CHAI ou Tove Lo. Vous préférez des artistes moins connus à des grosses stars comme Dua Lipa ou The Weeknd... En réalité, j'adorerais faire un duo avec Dua Lipa, mais je pense qu'il y aurait beaucoup de choses qui y seraient attachées. Ça donnerait l'impression qu'on le fait pour l'argent ou qu'on suivrait la tendance pour essayer de vendre plus de disques sur son dos. C'est assez difficile car ça devient un peu politique. Un groupe comme CHAI était si excité à l'idée de travailler avec nous. On voulait quelque chose de vraiment spécifique avec cette chanson, on ne voulait pas faire une collaboration avec un gros artiste mais on cherchait plutôt un son sur le disque. J'écoute beaucoup de musique et j'ai suggéré CHAI, ce groupe japonais. C'est à peu près la même chose qui s'est passé avec la rappeuse Ivorian Doll. La plus grosse star de cette scène musicale serait probablement la rappeuse londonienne Little Simz, mais je ne sais pas si ça aurait matché parce qu'elle a pas le même feeling qu'Ivorian Doll. Si vous écoutez les disques d'Ivorian Doll, c'est vraiment quelque chose, elle a un véritable sens de l'humour ! Et notre chanson "Hammer Head" a un côté cartoon. Avec ces collaborations, c'est un peu votre passage de flambeau à la nouvelle génération ? Absolument, ces artistes pourraient être nos enfants ! Alors, Mike Garson et Giorgio Moroder non... (rires) Mais quelqu'un comme Tove Lo, oui ! Tove Lo est une artiste à succès, mais elle n'est pas très mainstream, elle est dans son propre style. Les artistes suédois ont une vision musicale assez différente, un truc très suédois et propre à eux. Une pop music qui se tient et qui est très différente de la pop music américaine ou britannique. De la même façon que vous avez des artistes français qui ont ces particularités très françaises. Mais c'est super ! Le player Dailymotion est en train de se charger... Avec ce disque, vous fêtez votre "Anniversary", comme vous le chantez. Quel bilan faites-vous de ces 40 ans de carrière ? Ça a été incroyable. Nous avons eu une carrière incroyable. Nous sommes très chanceux d'avoir pu faire ce que nous aimons depuis aussi longtemps et les gens veulent toujours nous entendre. Nous avons toujours cette passion que nous avions il y a 40 ans, le frisson de faire cette musique est toujours là. Et ça, c'est toujours spécial. Nous avons eu une carrière incroyable Dans le clip "Anniversary", vous n'hésitez pas à vous moquer de votre propre image...Le clip est rempli de sosies, il y a Lady Gaga, Jennifer Lopez, la Reine, Vladimir Poutine. On voulait faire sourire et rire les gens. Allison Jackson, qui est la réalisatrice du clip, voulait travailler avec des sosies et nous a dit "Prenons une version jeune de Duran Duran, celle des années 80" pour jouer le groupe qui joue sur scène à votre fête. C'était censé nous faire rire mais c'était vraiment étrange. Quand j'ai vu cette version jeune de Simon Le Bon, et je ne connaissais pas le nom de cet acteur, je me suis dit "Je ne ressemble pas du tout à ça ! C'est pas possible, il ne me ressemble pas du tout". (Rires) Et j'aurais dû la fermer car dès qu'il a commencé à jouer en chantant en play-back, tout a pris vie et je me suis senti idiot. Il m'a tout simplement rappelé moi ! Vous avez été l'un des groupes qui a révolutionné l'industrie du clip dans les années 80 avec "Rio", "The Reflex" ou "Hungry Like The Wolf". Que pensez-vous des clips d'aujourd'hui, qui sont assez différents ? Aujourd'hui, MTV n'est plus la même plateforme qu'à l'époque et les clips ne servent plus à vendre des albums désormais. Maintenant les artistes vendent à travers les streams, mais ce n'est pas vraiment le cas vu qu'on est quasiment pas payés des vues venant de YouTube. Peut-être que Vevo le fait, mais c'est une somme ridicule et pathétique. La somme d'argent que les gens mettent dans les vidéos change aussi : on ne fait plus des grandes productions cinématographiques de nos jours, c'est devenu de plus en plus rare. Notre clip pour "Anniversary" est l'un de ces rares clips car on a mis pas mal d'argent et d'effort dedans. Mais les gens ont toujours de bonnes idées qui te touchent, te font rire ou réfléchir. Les années 80, c'était la période parfaite pour nous épanouir Il y a aussi un côté peut-être moins événementiel qu'à l'époque...Je sais, ce n'est plus si énorme aujourd'hui... Peut-être parce que les gens sont désormais plus habitués aux clips alors qu'en 1984, c'était assez nouveau, ça avait seulement quatre ou cinq ans... MTV a commencé au début des années 80 et toute cette scène était très jeune. C'était digne d'intérêt parce que c'était neuf, c'était frais. Maintenant, d'autres choses sont neuves. Ce qui peut faire le buzz, c'est quelqu'un qui épluche une carotte sur YouTube ou cuit un steak d'une façon étrange. (Rires) C'est ce genre de choses qui deviennent aujourd'hui virales et qui ont remplacé les clips... Peut-être que je devrais apprendre à cuisiner alors. Vous êtes catégorisé comme un groupe des années 80 mais vous avez réussi à rebondir dans les années 90 contrairement à beaucoup de vos collègues de l'époque, et vous continuez à avoir du succès aujourd'hui... Ça tient au fait qu'on fasse toujours de nouveaux albums et à intervalle régulier. Ok, ça fait pas mal de temps depuis le précédent ["Paper Gods" est sorti en 2015, ndlr] mais ça aurait été deux ans plus tôt s'il n'y avait pas eu le Covid. On fait toujours des disques mais aussi de bonnes chansons. Je ne vais pas être faussement pudique ou modeste à ce sujet, mais nous sommes toujours bons en tant que compositeurs. Et il y a toujours une place dans la vie des gens pour une belle chanson. On n'est pas un groupe des 80's, on est un groupe d'aujourd'hui Comment vivez-vous le revival années 80 depuis quelques années ? C'est un véritable amour de cette époque ou un simple objet de nostalgie selon vous ?L'idée même des années 80 a beaucoup changé dans l'esprit des gens. Quand les années 90 ont démarré, les 80's, c'était le diable. C'était une époque terrible que tout le monde voulait oublier. C'était du passé et le présent, c'était les années 90. Et puis, les gens ont commencé à s'y intéresser de nouveau, surtout depuis le début des années 2000 et il y a toujours de bonnes choses qui en ressortent. Notamment en termes de styles : la plupart des styles des années 80 étaient complètement fous et extravagants. Je pense que les gens ont repris l'univers punk pour le rendre encore plus extrême. C'est à la fois fou et très comique. Je suis très heureux que Duran Duran vienne de cette époque car c'était la période parfaite pour nous épanouir. Peut-être qu'on aurait pas autant marché si on était un groupe des années 2000, ou même de 2021, parce qu'on n'aurait peut-être pas les bons attributs. Mais on est définitivement un groupe de notre époque et on est capables d'utiliser ça comme une sorte de pilier pour une carrière qui dure depuis 40 ans. Je ne pense pas qu'on soit un groupe des années 80, on est un groupe d'aujourd'hui. Tout le monde doit bien commencer quelque part... Justement, dans la musique actuelle, voyez-vous un groupe qui serait le Duran Duran des années 2020 ? Il y en a tellement... Il y a tellement de groupes géniaux en ce moment. Vous savez, j'anime une émission d'une heure chaque semaine sur la radio américaine SiriusXM, qui s'appelle "Whooosh!", et je passe beaucoup de nouvelles musiques. Qui serait le nouveau Duran Duran. Je ne sais pas... Mais il y a des nouveaux artistes incroyables. Vous connaissez Dry Cleaning ? Contrairement à U2 ou The Cure, on n'a pas eu autant de succès en France Oui ! Le premier album est excellent !Dry Cleaning est fantastique. Il y a un gros mouvement punk qui vient d'Irlande en ce moment : il y a évidemment Fontaines D.C. mais aussi The Clockworks, Sprints, Sinead O'Brien qui est une artiste incroyable qui fait du spoken word... J'aime aussi beaucoup King Gizzard and the Lizzard Wizard, je suis un gros fan : j'adore leurs tonalités, leur son très Moyen-Orient. C'est tout bonnement incroyable ! Et il y a aussi beaucoup d'artistes français récents incroyables. Christine and the Queens, j'aime beaucoup ! J'ai récemment commencé à passer pas mal de musiques françaises dans mon émission de radio, pour voir si ça plaît aux gens. Pour moi, la chanson qui a tout commencé est "Madame rêve" d'Alain Bashung ! C'est l'une des plus belles chansons de tous les temps, c'est magnifique... L'Impératrice, je les ai joués aussi. Ils sont brillants ! J'adore la musique française, le son de la langue. Et même des chanteuses des années 60 comme Françoise Hardy ou France Gall... Il y a beaucoup d'artistes incroyables qui viennent de France qui ont un effet lent mais durable sur la musique. Vous n'avez pas donné de concert en France depuis 2012, peut-on espérer vous revoir en France sur la prochaine tournée ? Si on sait qu'il y a un public qui est là, alors oui on viendra jouer ! Je n'ai pas envie de venir pour jouer dans un bar ou quelque chose comme ça. On a un certain lien avec la France mais ça a toujours été compliqué pour nous. On n'a pas eu autant de succès ici que U2 ou The Cure, par exemple. Mais il n'est jamais trop tard, on a toujours le temps ! |